Malaxe, un extrait de roche sous l'éboulis.
Deuxième partie.

"Georges Malaxe a sans doute été un des artistes des plus controversés du début du XXIème siècle. Non pas, pour sa qualité d'écriture, mais pour sa lucidité sur l'ancienne société occidentale dans laquelle il vivait, il incarnait à lui seul tout les maux d'une génération perdue, automatisée par la bureaucratie. Georges Malaxe était un homme de son temps, son idée lumineuse a été de traduire ses malaises, ses craintes, sa vie monotone, ses habitudes et son terrible quotidien en écrivant. Cet article est dédié à Georges Malaxe, prophète de la non-vie."

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Il commençait sa journée, par ce rituel, acheter deux paquets de Philip Morris. Il en fumait une sur le trajet entre le distributeur de tabac et la bouche de métro. Il entrait dans le métro, parmi les autres bureaucrates, il regardait volontairement dans le vide. Tout les regards s'évitent dans le métro, il ne faut pas que les regards se croisent. Un jour Georges Malaxe avait rencontré le regard d'une femme, d'origine portugaise elle devait être nourrice ou femme de ménage se disait-il. Cette femme, qu'il avait regardé, le regardait. Pour bien dire, les deux individus s'observaient sans faire très attention, Malaxe regardait les habits de la femme et ensuite remontait vers le visage si le personnage correspondait bien. Pendant ce même temps, elle effectuait la même opération. Jusqu'à l'incident. Tout à coup, les deux individus se sont vus. Tout d'abord, ils n'avaient pas l'impression qu'ils se regardaient, chacun se moquait de l'autre sachant très bien qu'ils étaient tout les deux vulnérables. Puis, n'ayant l'air de rien, ils détournent très vite du regard, pour s'éviter. Ainsi chacun des deux avaient entrevus leur propre faiblesse dans le regard de l'autre. Pour réparer a gène occasionnée, ils s'ignorèrent jusqu'à la fin de son trajet.

D'autres personnes faisaient l'effet inverse, ils étaient l'objet de regards en coin, peu discrets. Dans la plupart des cas, ceux qui attirent l'attention parlaient seuls dans le wagon. Ces gens là sont névrosés du travail car il constitue leur seul contact au monde extérieur et n'est que le seul moment où ils peuvent avoir un peu de relations sociales. Ils parlent seuls, pour éviter d'avoir affaire au lourd silence des autres, et pour ne pas reconnaître leurs tristes vies. Leur seule occupation est de vider la pensée en parlant le plus possible. Ceux ci se concentrant uniquement sur leur discussion en oublient tout le reste. Georges Malaxe ne se laissait pas tenter à cette forme d'hébétement, il avait autrechose.

Malaxe sortait du métro, entrait dans sa boîte, il ne savait plus trop ce qu'il fichait ici. Il traitait des données et les envoyait ailleurs. Il faisait un peu comme tout le monde c'est à dire "il traitait des informations". En fait, il allait encore au travail pour pouvoir être payer, regarder quelques jeunes secrétaires et puis surtout s'occuper. Il n'avait ni femme, et encore moins des enfants. Il se demande souvent comment il a fait pour arriver à cet âge là en n'ayant rien fait. Il avait perdu de vue ses amis, car eux, avaient femme et enfants. Il se voyait mal invité chez un couple d'amis alors que lui était seul et qu'il avait horreur des enfants. Il prit une pause.

Il allait au fumoir, et allumait une cigarette. Il se mettait volontairement à coté de la porte pour ne pas être près de la machine a café. Il ne voulait pas avoir le moindre contact avec ces connasses de quinquagénaires syndiquées, il voulait fumer sa clope. Juste lui et elle, il savourait sa cigarette jusqu'à la fin, tout ce qu'il se passait pour Georges Malaxe dans la pièce, c'était lui et sa cigarette. Il ignorait les autres, et les autres, ces autres là, ces autres fumeurs, le laissaient tranquillement fumer. Chacun sait dans la pièce qu'il ne faut pas être dérangé lorsque la cigarette est allumée. Certains parlaient vaguement, sans faire très attention et s'occupaient plus de leur roulée, d'autres avaient trouvé le moyen de profiter des avantages sociaux de la cigarette. Il y a environ deux ou trois mois, Georges Malaxe se voyait demander une cigarette par une vieille peau du troisième étage. S'il avait su, il n'aurait pas donné de cigarette. La vieille le remerciait et entamait une discussion très profonde sur les Philip Morris. Elle demandait qui était cet homme, puis elle rigolait comme une idiote. Ensuite elle enchaînait tout de suite, sans prendre le temps de réellement faire attention à sa cigarette, par parler de sa marque de cigarette, de ses années de jeunesse, du tournoi de Taro de Najac dans l'Aveyron où elle passait ses vacances. Une femme bien chiante. Malaxe prétexta une envie pressante, il partit aux toilettes en laissant la cigarette allumée dans le cendrier, puis elle ne le revit plus.

Il rentra chez lui et , imédiatement, sans prendre le temps d'enlever son blouson vert délavé par le temps, il écrivit sur un papier que le monde des fumeurs était divisé en deux catégories : Les solitaires et les anti-solitaires. Selon lui, les solitaires dont il faisait partit, fumaient uniquement pour ne pas avoir affaire aux autres, et pour avoir un petit temps de plaisir solitaire. L'autre partie qui entre totalement en contradiction avec la première, était constitué de personnes ayant la "tatche" et voulant maximiser leur relations sociales à des fins sexuelles. Une fois cette nuance comprise, Malaxe fumait le cigarillo. Il avait ainsi autour de lui au fumoir, un large espace vide mais rempli par l'odeur du petit cigare. Malaxe fumait maintenant depuis environ vingt ans. Il avait commencé vers vingt ans du temps ou tout le monde fumait. Sauf que lui au lieu d'arrêter, avait complètement explosé sa consommation. Il avait appris les dangers du tabac et il s'en réjouissait car il savait qu'a chaque cigarette, il aurait moins de temps à vivre, c'était pour lui une forme de suicide lent, ce qui lui convenait totalement. Il avait pensé à se tuer, mais il n'en avait pas la force. Il se savait raté et ne voulait pas que cela se reproduise. Alors il écrirait puis mourait juste après son œuvre terminée. Selon lui, il lui restait une petite dizaine d'année à vivre. Il souriait.

La pause terminée, il remontait à son étage, et il en profitait pour regarder les fesses des nouvelles stagiaires à la photocopieuse. Ses mains le tentait toujours. Mais il revenait à la raison très vite à l'idée qu'elle pourrait porter plainte pour harcèlement sexuel. Il repris sa place, et non sans misère. Et il prit une fiche de rapport, et écrivit énervé, avec une écriture peu soignée : "Monsieur le Directeur, je ne passerai pas par quatre chemins, je suis victime d'harcèlements sexuels passifs de la part de Mademoiselle X, stagiaire au troisième étage couloir B, bureau numéro 13. En effet, celle-ci, pour des raisons inconnues mais qui me poussent à croire qu'elle a de fortes pulsions sexuelles incontrôlées, profite de ma présence pour s'exhiber devant la photocopieuse en tenue indécente suggérant clairement l'usage de certaines pratiques innées et interdites au sein de notre entreprise. Cette jeune demoiselle me fait diverses propositions implicites qui m'occasionne bien de la gène dans mon travail. Je me demande, Monsieur, si ce genre d'attitude scandaleuse ne nuit pas à la concentration de mes collèges et si sa qualité de travail est aussi bonne que ses défauts physiques. C'est par interet pour la bonne image et des résultats de production, que je m'inquiète pour notre belle entreprise. Veuillez Agréer Monsieur le Dirlo patati patata..." Et il rangeait fièrement ce bout de papier dans son tiroir à clef. Il penserai a les enverrai plus tard, le jour où il en aurait besoin.

Le repas du midi se passait devant la machine à café se contentant des soupes Liebig aux épinards qui ressemblaient plus à du thé. Ensuite l'après midi s'écoulait comme la matinée. Il passait chez Monoprix pour acheter cette fois du saucisson, et des andouillettes surgelées qu'il mélangerai avec de la macédoine. Ensuite seulement il rentrait chez lui. Il finissait son deuxième paquet de clopes dans la soirée. Entre l'assiette et le papier, où il écrivait. Il passait ses samedis soir à écrire la cigarette à la main. Jusqu'au jour où Georges Malaxe, homme sans histoires, allant un soir au distributeur de tabac pour acheter un briquet se fit kidnapper par des quinquagénaires ex-soixante-huitardes dans une camionnette blanche... Renault Trafic.


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