Lundi 13 avril

La vie infernale

 

Seuls les gens très intelligents ou bien les gens très sensibles ressentent dans notre société un ennui terrible qui leur coupe le sens de la vie. La vie actuelle proposée par notre système n'offre pas la joie que l'on pourrait avoir lorsqu'on commet un acte libre. Nos choix, nos envies, notre façon de vivre est constamment soumise à des processus de production. Ces gens sensibles ne peuvent pas s'épanouir quand leurs actes sont toujours soumis à une logique de calcul, de mépris pour leur personne. Dans notre système, l'acte libre se comprend au supermarché. Je suis libre en achetant : je peux acheter des millions de choses, mon acte de liberté est là lorsque je conduis mon 4x4 land rover en centre ville, ou lorsque je choisis une boîte de thon petit marin plutôt que la boîte de thon petit navire. Nous sommes coincés constamment, il faut toujours ouvrir son porte feuille et donc, en amont, aller se faire bouffer tout cru dans un travail.

J'étais à Paris mardi dernier. Paris est certes jolie, mais elle est surtout une ville fatigante. Habitué à un rythme de vie "plus provincial", mon corps se voyait terriblement usé par cette journée. Nous faisions simplement du tourisme à notre façon, petite promenade. Finalement nous étions agressés constamment, il faut se presser au passage piéton, il faut courir dans le métro, des marches à monter, d'autres à redescendre... Et le bruit, toujours du bruit, des moteurs des voitures, les bus qui nous effleurent, des gens partout partout partout. L'air chaud et lourd. Nos yeux qui piquent. Seule la beauté des quartiers nous permet de ne pas trop faire attention à ces agressions. Il faut même regarder constamment sa montre, pour ne pas être en retard.

Je comprends à présent pourquoi les romantiques ont fuit Paris à l'époque où elle commençait à se métamorphoser pour devenir ce qu'elle est aujourd'hui. Perçons des avenues larges ou le moteur bourdonne et vole la place aux voix de la foule. Creusons des trous pour te faire passer un métro qui t'enterrera. Mettons des horloges partout pour ne pas te faire oublier la cadence. Ces HLM haussmanniens que tu trouves so chic ne font que te désigner la place de parking ou tu dormiras ce soir. Viens rejoins nous dans l'anonymat, viens fonder avec nous cette société qui bâtit de grandes choses. Rejoins notre collectif d'individus ignorés. Et tu verras, tu t'y plaira. Nous t'inventerons et nous te donnerons du petit confort qui sera la contre partie de la perte de ton sexe.

Tiens d'ailleurs, cette tour d'acier là bas, tu la vois ? C'est notre phallus à nous. Regarde notre puissance, nous allons haut. Cette fierté d'exhiber son sexe érigé sur lequel nous planterons un drapeau français comme pour te rappeler que nous t'avons castré. Viens dans le flux excellent des ombres perdues dans des processus de production. Prends ce métro pour aller travailler plus vite, viens t'entasser dans nos usines, mange sur place au macdo pour te voler encore du temps libre. Le temps "libre", vous avez dit ? Il n'y en a plus à Paris, le temps qu'il te reste en dehors du travail, il te sert à reprendre des forces pour le travail ou sinon à consommer. Consommer; alors qu'on te vole ta vie, il faudrait encore payer pour obtenir la pitance. Et c'est ça que tu as été chercher dans la fête des tristes puissants qui t'ont construit cette ville ?

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