Dimanche 25 Juin : -EUR EN HOR-.

 

I

Août 45, on apprend la libération de Paris. Les occupants s'en vont petit à petit, il ne reste qu'une douzaine d'allemands. Ils sont en train d'aller au front ou ils vont au delà des Vosges. Les soldats sont de plus en plus stressés. Le village bien qu'isolé dans le massif central est un point stratégique dans la région : Il y a une centrale hydraulique. Elle fournissait en électricité toute la vallée et même une partie du département. Les allemands gardaient la centrale. Ils devaient aussi garder tout un convoi de D.C.A. démontée.

La centrale ne sert plus à rien, elle a été sabotée en Mars 44 après l'hiver. La Gestapo n'a jamais trouvé l'auteur des attentats. Quelqu'un avait déposé les explosifs dans la salle des turbines. L'explosion avait littéralement soufflé le bâtiment, il ne restait que les murs, le toit était partie en miette. Au village tout le monde savait que c'était "Mamie Boum", tout le monde l'avait vue, et tout le monde savait qu'elle avait des explosifs dans sa cave. Le personnel de la centrale avait été envoyé au STO car ils refusaient les ordres, soi-disant à cause des mesures de sécurité. Personne ne pu réparer les dégâts. Les allemands passaient alors leurs journées à jouer à la pétanque et à cueillir des fleurs. Sauf deux ou trois soldats qui mettait le village sous leur tyrannie. Ils réquisitionnaient les voitures ou les tracteurs pour les envoyer au front. Ils enquêtaient toujours sur le sabotage de la centrale. Et ils allaient dans l'école primaire du village pour enseigner l'allemand aux enfants et puis ils leur faisaient réciter les chants victorieux nazis.

Mamie Boum, on la surnommait comme ça parce qu'on ne savait pas son vrai nom, elle avait gagné son surnom grâce à son attentat. C'était une vieille femme qui habitait entre le village et la centrale. On connaissait juste son âge ; 77 ans. On dit qu'elle vient du Nord. Elle vit seule, elle coupe son bois elle-même. Elle possède une dizaine de poules et elle cultive son propre potager. Sa mansarde tombait en ruines et elle n'avait ni eau courante ni électricité.

Le village compte moins de cents habitants. Une poignée était "résistant" et prenait régulièrement le maquis de peur d'être pris au cas ou le reste des villageois les dénonçaient. Ils se disaient résistants, ils menaient de petites actions, ils collaient des affiches ici et là, mais elles n'avaient aucun impact. Ils cachaient des armes dans les granges. Ils donnaient les armes à d'autres groupes qui combattaient vraiment. Ils n'avaient pas réellement d'engagement politique. C'étaient juste des petits voyous qui jouaient les héros. Sur la centaine d'habitant, une vingtaine se moquait éperdument de ces affaires là, ces gens là vivaient leur vie en parfaite indépendance, dans leur coin sans gêner personne, ils allaient couper du bois, ou pêcher, ou labourer les champs ou garder le bétail... Ces gens là étaient des gens calmes, simples, et qui parlaient peu. Ils avaient décidé d'arrêter de chasser de peur d'avoir des problèmes avec les autres. Ils se refusaient à vivre en société. Ils faisaient le minimum. Les autres étaient tous plus ou moins collaborationnistes.

Le plus collaborationniste était Étienne, le frère du maire. Étienne était un raté. Il ne savait pas même traire une vache correctement. C'était un mal dégourdi et de mauvaise foi. Il avait réussi a avoir un emploi comme maître chien pour la chasse, le dimanche. On eut plutôt dit que c'était les chiens qui s'occupassent du pauvre homme. Il avait tout juste de quoi manger. Pendant l'occupation, Étienne avait collaboré ; c'est à dire qu'il offrait ses services (le peu qu'il savait faire) aux allemands. Il donnait des informations comme tout le monde. Il avait dénoncé son frère pour le sabotage de la centrale. Le maire avait été arrêté le jour même, en pleine nuit. Personne ne sut ce que le maire devint. Étienne eu son poste avec la bénédiction des autorités de Vichy et des occupants locaux. Le maire était en prison mais quelques jours plus tard on raconta que le maire avait été fusillé en tentant de s'échapper. Le maire aussi collaborait et il était fervent Pétiniste.

Pendant l'hiver 45, les allemands bénéficiaient des services des habitants, il n'avaient fait aucune réquisition hormis les voitures. Ils campaient dans la mairie. La Mairie n'avait aucun système de chauffage, la centrale étant détruite il fut impossible de se chauffer. Les hivers dans le coin sont très rudes, ils durent en général 4 ou 5 mois. Malgré la combustion du mobilier, ils avaient froid. Les gens du village apportaient souvent des couvertures, du bois, de la viande, des œufs et parfois même du vin. Même "Mamie Boum" d'ordinaire si distante ramenait un petit quelque chose.

 

II

A l'entente de la nouvelle, la poignée de résistant mirent la ville dans une courte insurrection. Ils prirent d'assaut la mairie, ils tiraient un peu partout. Les habitants rentrèrent chez eux et fermèrent les volets. Le village était maintenant désert. Étienne mort de peur se cacha dans la cave de la mairie. En une demi heure, les allemands avaient plié bagages. Ils s'enfuyaient. C'était plus simple de changer de position. Les enjeux étaient différents, l'action ne se passait plus au niveau local. Les soldats ne risquaient pas leur vie inutilement. Les résistants étaient mort de peur et il savourait leur victoire avec une certaine anxiété. Ils avaient maintenant le sentiment d'avoir vécu quelque chose d'exceptionnel et qu'ils étaient devenus des hommes. Ils peignèrent sur la porte de la Mairie "F.F.I." et ils prirent le maquis par précaution. Ils craignaient un retour des allemands avec plus de soldats et plus d'équipement. L'insurrection prenait fin. Le village était désert.

Étienne sortit de la mairie. Les habitants sortirent de leurs domiciles. Ils avaient les drapeaux français à la main. Ils allaient sur la place devant la mairie. Étienne ne comprenait pas bien la situation. Le vent avait tourné. Le cafetier prit le blanc bec par le col de sa chemise et il cria : "Il a tué le maire". L'heure était à la vengeance. Étienne essayait de se défendre en disant qu'il ne l'avait pas tué et qu'il était en prison. Le pauvre garçon avait beau clamer son innocence, personne ne l'écoutait. C'était redevenu l'idiot du village. C'était maintenant le sale fasciste. Les gens avaient de la haine en eux. Il fallait que quelqu'un paye pour ce qu'il c'était passé, a cela s'ajoutait l'histoire des voitures réquisitionnées. Les gens essayaient de prouver aux autres qu'ils étaient contre le fascisme, qu'ils n'avaient jamais collaboré, qu'ils étaient terrorisés par les autorités. Ils leur fallait se rattraper, se faire pardonner des "crimes" qu'ils avaient commis. Ils avaient tous retourné leur veste sauf Étienne qui, naïf, se laissait encore jouer les partisans de Vichy. Il ne comprenait pas et il se sentait protégé derrière sa fonction de Maire.

Les gens lui mettaient des baffes, ils le tapaient, lui donnait des coups de pieds -Il pleurait-. Les gens le tiraient par les cheveux, le bousculaient. Il reçu des coups de pied puis ce fut très vite les coups de poing. Les enfants lui crachaient dessus. Il y avait une mêlée sur la place, le garçon ne pouvait pas tomber parce que les gens le serraient trop. Étienne était au milieu de cette mêlée qui l'écrasait, ceux qui ne pouvait le taper, jetaient des cailloux. Il était maintenant en sang, et les gens n'arrêtaient pas de le frapper. Il criait très fort, à s'en racler la gorge. Les gens le tapaient à tour de rôle. Il s'évanouit. On ne sait à quel moment il est mort. Les gens lui arrachaient les habits. Le facteur sortit une corde. Ils le pendirent nu à un des arbres de la place. Les gens criaient, tel des indiens devant leur totem. Il devait peut être être mort. Un vieil homme avait un fusil. Il tira coup sur coup sans jamais louper sa cible. Les gens criaient toujours en l'insultant.

Ils coupèrent la corde. Le cops était complément méconnaissable. La carcasse, la chair, le muscle, le sang, la graisse. Un morceau de viande. On pu comparer le corps avec un veau fraîchement dépecé. Le corps retomba par terre violemment, comme une loque qu'on jetait du premier étage. Le crâne se fracassa contre le sol. Malgré les cris des gens, on pouvait percevoir le bruit sourd. On pouvait le ressentir jusqu'au fond de l'estomac. On ne pouvait pas entendre ce bruit, mais on l'imaginait. Une jeune femme blonde, vint se ruer sur le corps avec un tisonnier. Macabre boucherie. On n'imagine pas qu'on peu mettre un homme en morceaux . Puis le facteur récupéra la corde comme un trophée.

 

III

Mamie Boum, alertée par tout ce raffut, vint avec son fusil. Elle s'approcha de la place. Elle vit le troupeau de gens. Elle tira un coup de feu en l'air. Les gens se taisent. Ils se tournèrent dans le silence. Elle vit alors le corps. Elle pointait alors son fusil dans le vide, elle contemplait ce reste. Elle montra une tête qu'on a l'occasion de voir une seule fois dans sa vie. Les sourcils froncés au maximum. Les rides plus creusées que jamais. Les yeux noirs, très noirs. Elle gardait l'air de la découverte du cadavre. Elle était très choquée, et très en colère. Elle mesurait parfaitement la gravité de la situation et pourtant elle ne savait pas faire face au coté surréaliste de la scène. Comme si on était passé en un instant de cette réalité à la vraie réalité.

Elle dit : "Bande de cons !" (un temps) "Vous avez tué un pauvre gars qui valait autant que chacun de vous ! Soyez maudits vous m'entendez ! Ayez honte jusqu'à la fin de vos jours ! Les boches n'ont tué personne, vous êtes les barbares !"

Ces phrases bien que spontanées eurent un effet sur les gens. Le bedeau gifla la vieille. Un autre homme prit son arme et la retourna contre elle. Elle put dire alors d'un ton calme : " En vous voyant, le seul mot qui me vient à l'esprit est 'extermination'. Je me ferai bien criminelle pour vous. Je vous ...". L'homme lui a tiré une balle en pleine tête. Le corps de Mamie Boum reposait à terre. Le sang coulait. Le facteur lui passa la corde aux pieds. Les gens traînèrent le corps dans la mairie. Mamie Boum fut pendue, la tête en bas, au premier étage de la mairie, sous le drapeau tricolore. On enterrait les restes d'Étienne dans le maquis de manière à ce qu'on ne les retrouve pas. Tout le monde se tut, rentra chez soi, continua sa vie, et personne ne parla de cette journée.

 


IV

Le lendemain, le maire revint. Il était bien en prison. Les prisons étant surchargées, il put éviter l'exécution et être libéré grâce au directeur du commissariat des questions juives qu'il connaissait bien. Il pu rentrer au village. Le maire aussi avait appris la libération de Paris. Il avait développé une haine contre les allemands et il se disait maintenant communiste. Lorsqu'il revint au village, il fut accueillit comme un vieux copain, avec chaleur, on ressortit les drapeaux, et on fit un barbecue le soir même. On lui expliqua qu'Étienne s'était enfuit avec les Allemands. Et que Mamie Boum avait pointé son fusil contre Étienne ce qui avait alerté les Allemands qui l'abattirent à titre d'exemple. Le maire fit alors des funérailles à Mamie Boum, et il mis une plaque en Marbre sur la place du village en souvenir de l'héroïsme de Mamie Boum. Elle fut enterrée dans les honneurs. On ne parla plus d'Étienne ni de la version officieuse de l'exécution de Mamie Boum ni dans le village ni ailleurs.

 

V

La nuit tombe, le village s'endort. Aucune lumière. Parfois durant la nuit les hommes se réveillent en criant.