Lundi
08 Septembre
L'homme invisible
Je n'avais encore jamais connu ce vide existentiel. Il s'agit d'un vide tout particulier, c'est un vide qui n'existe pas. Il a réussi tout simplement en quelques secondes à me faire disparaître. Non, ce n'est pas à l'intérieur qu'il faut regarder : c'est à l'extérieur. C'est un vide nié par les autres. Un vide sous-entend une présence disparue. Un espace vide est un ancien espace occupé ou bien c'est un espace à remplir. Mais là, le vide n'existe pas, il n'est même pas suggéré. Je n'existe plus. Je suis annihilé par tout un tas de bricoles. Samedi dernier par exemple à la braderie de Lille, je dus passer par la gare Lille Flandres.
La Gare Lille Flandres c'est un peu comme un endroit derrière mon ordinateur ou tout un tas de fils se croisent, au bout d'un moment on ne voit plus le sol et la poussière plus quelques petites bêtes viennent s'y ajouter avec le temps. Inutile de vous dire qu'il y a énormément de courants qui passent (courant électrique pour écran, enceintes, unité centrale, lampe du bureau, modem, téléphone) sans compter les dépendances (caisson de basse, câble appareil photo, web cam, souris, clavier, écran, deuxième clavier, et d'autres trucs.) Voilà c'est un peu la Gare Lille Flandres, c'est crade et c'est le bordel tout le temps. On ne s'y perd pas trop parce que c'est petit, mais étrangement pour aller d'un point A à un point B, on est obligé de faire des pieds et des mains pour accéder à B; Si la logique veut que nous prenions le chemin le plus court, l'instinct de survie voudrait que nous prenions une méandre moins accueillante. Grand conflit intérieur.
Avec le temps et de malheureuses expériences, je me suis rendu à l'évidence que l'instinct de survie était plus efficace que la logique. "Néanmoins" que le jour de la braderie de Lille, tout les accès sont saturés, je fonctionne alors comme un GPS je calcule sur l'ensemble de la distance le trajet le plus intéressant. Le problème c'est qu'il faut passer par l'endroit maudit de la gare Lille flandres pour remonter à la surface, cet espèce de couloir vert moche, jamais assez large, avec un clochard qui se fout de ma gueule quand je lui donne une pièce ("connard !" m'a t-il dit un jour). Ce couloir, je le déteste, et je déteste Transpole aussi.La foule dégueulait massivement sur moi, personne ne me voyait. Mes épaules épuisées, ne pouvant tenir contre autant de corps, tombèrent. Pas un de ces enfoirés n'a pensé à me laisser ne serait-ce qu'un mètre carré pour me ressaisir. On me méprisait. Tous ces étrangers provinciaux à Lille qui étaient persuadés d'être dans un couloir uniquement descendant semblaient se liguer contre moi. Moi, cristallisé comme étant le sale petit jeune pressé qui se faufile à contre sens pour aller plus vite qu'eux. Une discipline inconsciente entre ces individus qui ne formaient qu'un les gouvernait, elle semblaient leur dicter de me mettre de bâtons dans les roues et de prendre un plaisir malsain à me bloquer. Cette mentalité qui fait croire que ce que le Moi inverse effectue n'est compatible avec le bon Moi. Un monde qui délire sur l'ordre, un monde qui délire sur l'uniforme, un monde aveugle qui veut qu'on le regarde tellement il est beau.
Pas un regard ne m'a été accordé. Pas une parole, pas d'excuses, "ce n'est pas moi, c'est l'autre" dirait-on : fantôme insaisissable. Des épaules dures comme l'indifférence sur lesquelles mes épaules viennent s'échouer puis glisser comme Magellan dans son détroit. Tindin. Puis quelques seconde après des rires ou des caïds emportés par le flux d'une rivière d'imbéciles qui grognent parce qu'ils n'aiment pas qu'on les touche, ni les regarder dans les yeux. Bref. Je n'existait pas pour eux, je n'étais qu'une mauvaise image d'Épinal, je n'étais pas Loïc, je n'étais rien du tout.
(C'est cracher quelque chose avant l'autre quelque chose)