Jeudi 08 Janvier

La jouissance des autres.

>Imaginons qu'un train déraille en Inde et qu'il provoque la mort de 1200 personnes. Les images sont épouvantables, et l'événement apparait le soir même à la une du vingt heures. Le spectateur qui n'a pas de recul aura de la compassion pour ces gens situés à plus de 7000km de leur écran de télévision. D'autres encore, habitués à la violence télévisuelle, devenus cyniques s'en moqueront. La plupart du temps, les gens y sont imperméables car ces images ont perdu de leur sens, noyées dans le flux constant des images de l'AFP qui nous rapporte des images de corps mutilés ou sans vie depuis les quatre coins du monde.

Quel intérêt à montrer cette image alors que des 1200 morts il y en a tout les jours ?

Cet événement ne nous apporte pas la connaissance, il n'a en plus aucune incidence politique en France et l'Indien ne sait sans doute pas que l'on puisse parfois s'émouvoir ici ou là pour son âme. C'est parfaitement inutile. Pourtant il est bien présent dans notre écran… L'information est morte, elle laisse place à l'actualité en continue, elle apporte de l'expérience par procuration. L'édition CNN est une édition spéciale permanente mise en scène comme un grand film. On nous abreuve de tout un tas d'histoires individuelle sur l'événement (des témoignages poignants), des analystes pensent à notre place et nous parle de la situation ferroviaire en Inde, car ils ont réponse à tout à la télé. Bref, c'est le chaos et nous sommes plongés dedans, on nous parle à notre pathos directement, le temps réel ne nous permet pas la réflexion. Notre passivité spectatrice ne se rend compte de rien et du soir même je vais rêver dans mon lit que mon lit déraille. Et pourtant pas moyen de changer de chaîne ou pire encore, éteindre.

Même sujet, plus proche cette fois ci à ce détail près que le fait en question date d'il y a soixante ans. On voudrait qu'au nom d'une loi dite mémorielle (sur l'Histoire avec un grand H) on se souvienne d'un destin en particulier… d'un enfant juif déporté et mort. Voilà le retour de la Storytelling au service d'une idée visant à faire de chaque enfant qui apprend un nom et un prénom d'un enfant mort, le garant d'une mémoire individuelle. Bref, même recette pour les plus vieux, relisez la lettre de Guy Môquet avant d'aller dormir. Je maintiens à dire que l'utilisation politique de cette lettre est un scandale.

J'oserai ajouter pour cette question ci une théorie Esthétique. Il s'agit de la théorie sur le sublime d'Edmund Burke. Pour Burke, le sublime est une catégorie esthétique indépendante du Beau, liée aux idées d'infini et de terreur. Les images du sublime nous fascinent parce que nous sommes chez nous en sécurité. Nous avons tous en nous cet instinct de destruction. C'est pourquoi les films Titanic ou encore King Kong ou le Jour D'Après ont marché aussi bien au box office. Un accident de train en Inde, c'est Hollywood qui reprend ses droits : Chic, des morts et de la tôle ondulée ! Voilà le vrai sens de cette " information ", c'est le Diesel même de la société du spectacle. Et faire une cérémonie en l'honneur de Guy Môquet diffusée au lendemain de l'élection du chef de l'état, c'est aussi produire du spectacle > avec comme idées véhiculées de ce monde parfait : le Patriotisme, l'Ordre, la Xénophobie, l'Antinazisme, mais aussi l'Anticommunisme. Elle profite surtout à l'extrême droite.

Puisque maintenant, tout devient possible, que tout les Ethiques sont abattues. Il est désormais possible de tout faire, de faire n'importe quoi, ou d'être dégueulasse, ou au contraire de ne rien faire et de se cristalliser devant sa télévision. Tout est à présent justifiable, l'expérience peut tout prouver. Les derniers remparts contre la capitalisation tout entière à tous les niveaux de la société étaient les états. Les voilà démontés, je repense à l'avertissement d'Allende en 1972 au siège de l'ONU que je n'aurais jamais assez répétée ; " Nous sommes face à un véritable conflit entre les multinationales et les États. Ceux-ci ne sont plus maîtres de leurs décisions fondamentales, politiques, économiques et militaires à cause de multinationales qui ne dépendent d'aucun État… Elles opèrent sans assumer leurs responsabilités et ne sont contrôlées par aucun parlement ni par aucune instance représentative de l'intérêt général. En un mot, c'est la structure politique du monde qui est ébranlée. Les grandes entreprises multinationales nuisent aux intérêts des pays en voie de développement. Leurs activités asservissantes et incontrôlées nuisent aussi aux pays industrialisés où elles s'installent. Notre confiance en nous-mêmes renforce notre foi dans les grandes valeurs de l'humanité et nous assure que ces valeurs doivent prévaloir. Elles ne pourront être détruites ! " Allende est mort et le mur est tombé. Alors on s'en donne à cœur joie, et l'on ne cache plus rien. C'est la jouissance des autres sans entrave. (" Le triomphe de la vulgarité " - Marc-Vincent Howlett paru en Mars 2008). Le people ce sont les miettes qui nous reste : Du pain et des jeux ! Les deux éléments obligatoires à l'établissement de la société du spectacle.

Si vous voulez être beaux : Regardez la télévision. Ce harcèlement répétitif qui sévit à la télévision, Deleuze le repère dès 1968, dans " Différence et Répétition ", notre système s'appelle " système des simulacres ", le simulacre est pour lui quelque chose qui ne renvoie à aucun modèle, il n'a aucune représentation, il est presque " liquide ", insaisissable et pourtant il nous englobe tous. Ce fantôme vers lequel nous tendons tous par le fantasme du tous pareil est dangereux pour l'humain, car il nous classe. Si nous ne rapprochons pas vers l'Homme masculin, actif (travailleur), père, blanc, âgé de 30/40 ans, type européen, vivant en ville, hétérosexuel, marié, en bonne santé, parlant une langue standard etc. ), nous perdons alors de la valeur, les hommes deviennent classables (et cette idée de l'uniformité est plus grave encore quantitativement que l'idée de classification des races par les Nazis). Cette pseudo majorité n'en est en tout cas pas une ; C'est en ce sens Kafka " est le premier à avoir perçu, écrit Hanna Arendt, cette vérité fondamentale : la société est constituée d'absolument personne ". Le respect de l'Homme est tombé aux oubliettes. Pour finir, Marx disait " le sommeil du prolétariat engendre des monstres ", j'aurai tendance à dire que si le prolétariat dort seulement, ça peut encore aller car il y aura toujours des gens qui se tueront à la tache pour que d'autres s'en rendent compte et leur apportent un nouveau souffle. La situation est plus préoccupante aujourd'hui, c'est la société toute entière et leurs cerveaux qui pourrissent sur pied.

Qui pour les réveiller ?

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