Lundi 12 Janvier.

Fabulation de l'indifférence.

 

La pluie mélangée à la neige tombait sur ma veste bleue de marin allemand venue de mon séjour à Zurich. Je sortais du tramway il devait être environ vingt heure et le jour n'est plus. Je revenais de l'école, je m'avance vers le passage piéton. Là, un bouton magique à ma gauche... évidement j'appuie. Vous savez c'est ce genre de bouton super embêtant pour les automobilistes. Le feu rouge passe alors au vert, les automobiles s'arrêtent, et je passe dans les clous. Tout est simple. L'Histoire est pour moi la même chose lorsqu'elle ne dépend pas des Hommes. Je suis à cet instant précis à cet endroit même au bas de ma rue. Ce qu'il se passe, se passe. L'interprétation de la chose peut être saisie de manière différente. La plupart des imbéciles considérerons que cela se passe parce que cela doit se passer.

C'est une phrase aux airs tautologiques mais elle implique exactement l'inverse de ce qu'elle voudrait désigner normalement. La responsabilité muette doit être attribuée au verbe "devoir", ce verbe exclut automatiquement toutes les autres possibilités pour ne garder que celle qu'on veut bien y mettre. Ceci doit se passer, c'est une chose inéluctable, impossible d'y échapper. Tout les éléments sont réunis pour que cet événement anodin puisse doit se passer. Et si d'aventure il se passe quelque chose, par exemple un accident de voiture, ou bien que je me fasse renverser, cet acte devait se passer, il échappe donc à tout contrôle de ma propre volonté. Ma faute est peut-être dans l'acte au moment où j'appuie sur ce bouton rouge, mais j'aurais pu le faire des dizaines de fois avant sans que rien ne se produise, et en aucun cas j'en suis responsable volontairement. Nous pouvons dès lors attribuer ce verbe "devoir" à des forces qui nous dépassent, une entité supérieure qui gère le monde (sous le modèle de la loi de Murphy ou de l'effet papillon) de manière courante on appelle ça le hasard.

Malheureusement, ce mot hasard est muni d'une force incroyable. Il provoque tout, ce qu'il arrive et aussi ce qu'il n'arrive pas. Sous ce mot se rassemble aucune logique pourtant c'est lui qui arbitre. "C'est le hasard qui décidera". Le hasard est dépossédé de sa vraie signification, on lui donne de la logique. En d'autres termes, le hasard c'est dieu qui nous impose quelque chose, le hasard c'est toute une série de coïncidences troublantes a qui on pourrait donner la paternité à la numérologie pourquoi pas, ou bien encore un fantasme de mathématiciens ou de voyants tenterons de le prévoir. On donnerai par là au hasard une identité, il est capable de décider, de trancher...

Et c'est peut être là le problème, les Hommes manquant d'explications (rationnelle ou pas) voudront chercher plus loin là où ils ne comprennent pas ce qui leur arrive, voici pourquoi on cherche tant à le prévoir, nous sommes frustrés à l'idée de la possibilité qu'il ne découle de rien. Comprenez, dans sa définition originelle le hasard justement ne découle de rien, c'est le manque même d'explications, l'impossibilité même d'un rationnel. Quelle chose vraiment scandaleuse alors pour l'Homme dont la seule envie est de tout contrôler. Voilà pourquoi nous donnons à un autre Homme dans le ciel ce pouvoir parce qu'il est impossible ici bas de le faire, et c'est une idée rassurante de savoir que ce pouvoir là est entre les mains d'un ici haut dont la ressemblance avec l'Homme est frappante. Tout va bien alors c'est un des nôtres qui contrôle ça, le vide infini qui nous fait tant peur s'évapore... Ouf ! dirait-on.

Cette idée là me fait vomir. Un feu passe au rouge puis au vert puis au orange, enfin au rouge. C'est ce qu'on a osé appeler l'ORDRE DU MONDE. Rien d'autre n'est possible, c'est une loi surhumaine. Les maniaques peuvent se frotter les mains, ces hommes qui ne savent même pas d'eux mêmes que ce sont des pervers et que chacun de leurs actes les compromettent un peu plus dans la connerie gluante dans laquelle baignent leurs cerveaux assassinés. Ces gens là s'en accommodent bien de cet "ordre du monde" qui justifie même qu'il y ait des riches et des pauvres, des pauvres (et des autres) assujettis à "l'équité" dont on aime à les savoir dans leur devoir lorsqu'ils finissent broyés dans les rouages de nos machines à systèmes dits naturels, fini peut être la chaire à canon : les voilà en ce moment même sous les rouleaux compresseurs des machines à imprimer les billets de banque. Qu'est ce qui peut justifier ça ? De faire de ces martyres inconscients de l'avoine au cynisme trop courant dans les cœurs desséchés de ces déchets humains. Normalement rien, rien ne peut le justifier, suffirait simplement d'en appeler à l'amour et l'espoir pour que viennent la lutte. Lutter contre "l'ordre du monde", c'est impossible. Et les poètes sont désarmés face à ceux là, ils sont à des années lumières de leurs pompes. Impossible surtout de se battre contre ceux qui ne savent pas. (Et ceux qui savent et qui en profitent me sont inconcevables)

>Le jour où l'on saura pourquoi lorsque ça sent la merde et qu'on le fait remarquer, les autres se mettent à sentir aussitôt cette odeur qui est censée être désagréable afin de subir eux aussi le désagrément de l'odeur de la merde... Peut être ce sera plus clair.<

Le drame c'est que ça me lamine aux confins de mes tripes. Je me sens si seul, comme garant du reste de l'humanité qui patauge dans ses petites préoccupations annihilantes. On devient comme un Desproges qui n'a plus la force de rire : La force d'aimer les hommes et l'espoir qui n'y est plus car on le lui rend tellement mal, sans cesse déçu. La gorge nouée, amour désavoué. Subir devenant une habitude. L'écorché n'est plus vif. Tout combat parait perdu d'avance. Et j'espère vous faire peur.

 

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