Lundi 17 Août

Grave(under)lines

 

Le week-end du Quinze vient de s'écouler. Il est Lundi soir.

Je suis rentré fatigué du travail. Je voulais quitter Lille ce week-end là pour me faire une virée à Gravelines. Finalement je n'ai pas été. Je remet ça à plus tard, enfin je crois. J'ai compté grâce à Google Earth et son système de repères, le nombre de pylônes électriques entre la centrale nucléaire de Gravelines et le centre de redistribution d'électricité le plus proche de ma maison. Je me suis un peu renseigné sur les pylônes électriques, j'entame une série la dessus (>petit coin), j'ai appris que le plus grand pylône électrique était plus grand que la tour Eiffel, il est situé en Chine. A croire que la démonstration de puissance se joue aussi à ce niveau là, après les grosses bagnoles, les plus hauts buildings, les fusées les plus puissantes, les pylônes électriques n'y échappent pas. Ô Pylônes, colosses d'acier qui sont les colonnes vertébrales de la nos pays riches, Alimentations télévisuelles, décharges informatiques, transports téléphoniques tous passent par vos bras
! Posez-vous la question : D'où viennent ces lianes et où vont-elles ? Après tout n'est ce pas à cause d'elles que nos campagnes se sont peuplées d'un nouveau genre d'arbre ?

On pourrait croire que je suis un nouveau Julien Coupat, que je prépare un attentat terroriste contre le réseau électrique de Lille et se sa banlieue, (là c'est sur, ça devrait arrêter plus que les trains). Il faut savoir que à la manière Julien Coupat, je pourrai être une vraie menace pour les objets, je suis fan de la terreur anti-mécanique, j'adore la barbarie contre des choses matérielles et qu'en conséquence je devrai être classé comme un terroriste au même rang que les vrais terroristes (ceux qui tuent les gens). Remarquez en ces temps, j'ai un peu peur pour ma peau, on peut être arrêté et emprisonné pour des choses qu'on a pas faites, ni même projeté de faire. Manquerait qu'on me retrouve suicidé en taule ou expulsé de France.

Alors là, je préfère sortir ma carte d'artiste. Et faire valoir mon intérêt pour ces poteaux, comme si on s'intéresserait à des petites fleurs. Je citerai Dubuffet ("Asphyxiante Culture" -Jean Dubuffet- Éditions de Minuit > P.98-99) mais l'on peut trouver ce genre de propos chez la plupart des artistes ; c'est que ici je l'ai en tête c'est tout. "Une production d'art n'a de signification que par la position qu'elle occupe en regard de son contexte, par le rapport notamment, dans lequel elle se trouve en regard de l'art usuel du moment où elle est produite et des ouvrages qui la précèdent". Je pense qu'une œuvre d'art reste un témoignage d'une époque. Une œuvre est un témoin, elle traduit les craintes, les aspirations, le quotidien si l'envie est au quotidien, l'extraordinaire si l'envie y est. Même si l'on pousse l'écart très loin, une aventure interne à la peinture dans le seul cadre de la peinture comme sujet reste teintée par une représentation propre à l'artiste et donc à son état d'esprit.

Même quand l'art est en "crise", et je pense à Anselm Jappe, il reflète encore le tempérament de l'époque. Avec la post-modernité, la société flouent ceux qui y vivent. L'artiste aura cette position de tout savoir, ou au contraire de ne rien savoir. OU bien dépasser l'époque par le savoir jusqu'à aller au bout de la compréhension de ses mécanismes OU bien dépasser par la sensibilité extrême de l'artiste les agressions brutales du système. Dans les deux cas, l'artiste perdra, comme son époque, son intelligibilité face à un public de plus en plus noyé entre hygiène et hédonisme. L'artiste dans la post-modernité ne sera pas forcément postmoderne, il sera seul et marginal. Les artistes postmodernes, eux, compréhensibles car lancés dans la dynamique de leur temps seront éphémères (car aucune pensée globale ne gouvernera leur travail) seront rangés au rang de publicitaires résidus du pop'art récupérés.

A présent, pour en revenir aux pylônes, les transporteurs immobiles et isolés (=>inelectrocutables) shootés au nouvel opium du peuple que seules les très violentes tempêtes peuvent plier. En réseau, connectés mais se guettant de loin seulement. Ils sont en maillage pour plus de sécurité. J'y vois le paysage de mon époque. Ils portent aussi des noms selon leur forme, Pylône MUGUET (54m en 400KV ou 42m en 225KV), ou CHAT (35m en 225KV), BÉTON HAUTE TENSION (30m en ?KV), ou plus étonnant encore, Pylône TRIANON (35m en 400KV ou 25m pour 225KV) et même Pylône BEAUBOURG (50m pour 400KV et 41m pour 225KV).

Voilà, une armure d'acier en passoire, l'irradié va en pèlerinage à Gravelines, (la postmanue à l'ancien épicentre de la mort cérébrale), Loïc marchera sur la plage le long des réacteurs casseurs d'atomes sans personne, pieds dans l'eau peut-être restera plus qu'à faire demi-tour pour voir le bout du monde, la digue du braek+ing. Il n'y a plus à essayer de me faire un électrochoc, seulement à trouver une beauté dans la tristesse du monde.

 

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