M E R - 1 0 - F E V

MODERNE - POSTMODERNE [ 2 ]

 

 

Il se réveillait au sous-sol, une faible lumière venue de l'extérieur faisait une bande Newmannienne sur son visage. Il se tourna, regarda l'heure sur une vieille chaîne hi-fi qui avait cette particularité d'avoir du bois contreplaqué sur ses cotés. Il avait mal dormi, il avait froid. Ses yeux ouverts, il vit deux livres l'un sur l'autre qui calaient la chaîne hi-fi au parquet qui n'était pas droit : Albert Camus, La chute, achevé d'imprimer en 2005 // Karl Marx, Manifeste du Parti Communiste, achevé d'imprimer en 1964. Il repensait à DV qui l'avait pris pour un con, il ne savait pas vraiment en fait, il n'est pas dans sa tête. D'ailleurs, la tête de ce DV a l'air d'être un sacré bordel. Il repense à l'autre AC qui s'exclame : "Toi cet homme de gauche, tu m'étonnes !" en parlant d'une initiative "...Prolétarienne". L'autre AC d'ailleurs, mi-figue mi-raisin, aussi, toujours entre deux chaises, jouant sur deux tableaux à la fois, partie gauche et droite simultanément d'un Barnett Newman, moitié drogué ou fêlé, moitié génie ou salaud.

L'artiste DV, homme indisponible, il ne va pas aimer. [sur l'initiative ...Prolétarienne] Il déclare : "l'autogestion je veux bien mais les ouvriers prennent le contrôle des machines et comment tourne l'usine ? hein ?". Ce sont les plus chiants ces mecs là, ceux de culture communiste et qui sont de droite. Allez comprendre... C'est un mec qui capitalise les idéologies, il est peut être plus postmoderne qu'il ne le croit. Il a même dissout Marx, la même édition de celle du dessous de chaîne hi-fi [pour faire un truc marrant dans l'art].

 

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Marx Manifeste du parti communiste dissout + Peinture de Barnett Newman - Kunsthalle Zurick


L'endormi, celui devant la chaîne hi-fi, au sous-sol, se sentait profondément humilié et idiot. Quelque chose lui échappait. Un peu comme dans le travail de Thomas Ruff comparé avec les publicités Mac Donald's. D'un coté une neutralité (comme sur les cartes d'identité) bouche fermée et droite, front dégagé, yeux inexpressifs, lumière néon... qui déshumanise, on veut des gens droits, nets, à mettre en rang. De l'autre, boomerang, émancipation exacerbée, arborez surtout votre moi sur tout les toits qui surhumanise qui déshumanise. Dans le Moderne : Le moi est étouffé, interdit. Il faut un seul "Moi" pour tous. Dans le Postmoderne : Le moi est partout. Il faut à présent que tous aient un "Moi", tous pour "Moi". N'y aurait-il pas un juste milieu entre ces deux positions ? ou autre chose ? Le monde est-il binaire ?

Il n'était pas prêt de sortir de chez lui. Il verrait bien des avantages à être Postmoderne, se contenter de dire n'importe quoi parce qu'il se sentirait puissant, dans le sens du monde et dépiterait ses adversaires par des effets de rhétoriques habituels. Il aurait à être hédoniste, faire la fête, regarder la télé et ne pas voter, il aurait sa place dans le monde et tout ça sans faire travailler la machine "Tête". Il voyait des inconvénients finalement à prendre du temps pour essayer de ne plus être mutilé, car il n'a pas eu la chance de naître ni à la bonne époque, ni au bon endroit. La vieille école lui crachait au nez son dernier souffle, comme si elle voulait se suicider. On lui disait :"C'est mal foutu ce que tu fais..." il aurait pu montrer aucun respect, puisqu'on ne lui en montrait pas, et répondre : "Mais c'est toi qui ne sait pas t'adapter, y'a pas que ton schéma d'organisation dans la vie, faudra t'y faire papi". Mais, même dans sa cave, il avait une trop haute idée de lui-même qu'il n'envisageait pas y céder.

La meilleure façon de contrer la domination intellectuelle lorsqu'on en n'est pas, c'est d'utiliser la technique médiocrité intellectuelle. Elle seule abolissait toute emprise de l'Homme Savant sur les autres. L'Homme Savant n'ayant plus de public, ce serait lui l'exclu au lieu d'être l'homme reconnu socialement (dans la modernité). Il passerait aussitôt pour un homme du passé, tenant des grands discours politisés, car l'homme qui adhère à une idéologie ou idéalogie aurait la même réputation qu'un homme adhérant à une secte, profondément intolérant, honteusement radical. Derrière l'émancipation physique postmoderne, existe une propreté morale anti-moderne. La médiocrité intellectuelle élimine toute hiérarchie entre Savants et Non-Savants. Les Savants modernes passent leur temps à batailler entre eux pour savoir qui chante le mieux, qui a le plus raison. La Post-Modernité passe un gros coup de balai et déclare à tous : Vous avez tous raison et vous êtes tous les meilleurs en même temps.

On retrouve là peut-être des points communs avec le Communisme, celui des Soviets, du Grand Moustachu. La magie du Postmoderne est de savoir cumuler les inverses. Dans notre société post-industrielle basée sur la communication, le Capitalisme ressemble au Communisme décrit dans les romans, celui où on est malheureux. >Il n'y a pas d'abondance des produits en URSS /// Ici, on appelle ça "Rupture de Stock" ou "produit momentanément indisponible"./// Il n'y a qu'une seule marque de produit (URSS) /// (ICI) Choisissez entre la marque A ou B aujourd'hui (Standardisation)./// Propagande (en URSS) /// ICI : "publicité" ou "marketing".

Où est passée l'époque des chariots remplis à ras bord où les magasins dégueulaient des tonnes de produits ? Nous nous retrouvons avec une espèce d'austérité et une tristesse du tout pareil dans les têtes (Pensée unique ? Culte des personnalités ? Pénurie -de fuel- ?). Que penserons les générations futures (si futur il y a) de notre mode de vie d'aujourd'hui ? Auront-ils le même jugement que nous lorsque nous jugeons l'époque Stalinienne dans les livres d'histoire (ou Tintin) ?

Devant autant de violence, il retourna dans son lit, il alluma la chaîne hi-fi, écouta stoïquement le bruit des ondes, quêtait un son, à la manière des personnages de Beckett, il se recoucha et mis un magazine sur l'informatique dans la rainure du mur qui laissait passer les lumières. Il n'en voulait plus. Il laissait un petit feu de désespoir qui lentement le plongeait dans le sommeil.

 

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