D I M - 0 4 - A V R
(Publié le 12 Avril)

SUITE : 30 ANS APRÈS

 

Trente ans après la publication de cet article : il est évident que les usines ont disparu et disparaissent peu à peu du paysage. Le travail a muté : la tertiairisation. Ce changement provoque la disparition progressive des ouvriers au profit des employés. La structure des lieux de travail s'est profondément modifiée. L'ouvrier hier, travaillait à son poste, en bleu de travail, souvent à la chaîne. L'employé aujourd'hui est devant un ordinateur. Même si les employés sont physiquement plus proches entre eux, leurs contacts sont en fait plus restreints. Aux usines, les vies des ouvriers étaient rythmées de la même façon, étant donné que le travail à la chaîne réclame tout les ouvriers en même temps pour produire, ils commençaient alors aux mêmes heures, mangeaient ensemble, et finissaient à la même heure. La vie au travail de chacun était réglée collectivement.
Les employés ont une autre structure du travail. Ils ont des horaires variables, ils ne vivent plus ensemble, la production ne nécessite plus tout les travailleurs en même temps. Ils produisent des services, le téléphone, les écrans d'ordinateurs, ne nécessitent plus le même genre de concentration. L'habilité manuelle n'est plus indispensable. Ces tâches occupent tout autant ou beaucoup plus l'esprit et empêche par là la communication entre les employés. Ajoutez à cela la division des employés entre eux par des systèmes de méfiance imposés par les patrons entre employés, une nouvelle façon de surveiller. "Qui va dénoncer qui ?"/"Qui a eu la prime ?". Les nouveaux contremaîtres sont vos collègues...

Bref, la conscience de classe s'est aussi décomposée en partie à cause de ça.

On est d'accord la lutte des classes par cette mutation du travail en a pris un sérieux coup. Le mot prolétaire apparaît comme étant dépassé, s'appliquant dans l'esprit à l'ouvrier, pas à l'employé. L'employé, lui, est beaucoup plus moderne. Néanmoins, les employés restent des prolétaires, ce qui a changé, ce n'est pas la façon dont la société est faîte, mais c'est la façon dont on la perçoit. L'analyse de Marx reste toujours aussi valide, mais la société est à présent présentée comme étant un conglomérat de mécanismes sociaux et économiques "naturels". Toute sorte de discours explicatifs se cumulent et se contredisent. C'est dans cet immense pagaille que la société se serait formée, avec toutes ces explications plus où moins extravagantes, plus ou moins orientées.

Trente ans après la publication de cet article : Une telle analyse d'un philosophe de cette envergure me semble être assez préoccupante. L'idée d'un "jeu", d'une bataille de jeux de langages, peut se révéler être une opportunité sans précédent, mais peut aussi nous mener vers des pensées très dangereuses. D'abord Jean-François Lyotard n'a pas imaginé l'implication des grands groupes médiatiques sur internet. La télévision se prolonge sur internet. Il est certain que les audiences ne sont plus exclusivement détenues par la télévision, cela dit, les groupes médiatiques se sont aussi étendus sur la toile. Il n'y a qu'à regarder dans les actualités Google, ou même dans les premiers liens présentés par les institutions du web pour se rendre compte que nous sommes trop souvent redirigés vers les mêmes sites qui ont un partenariat avec les groupes médiatiques [ex: Dailymotion + BFM par exemple] ou des groupes de télécommunications [ex: SFR+Facebook+Mtv]. Google est une entreprise, même si son accès est gratuit, les entreprises de communication payent pour mettre en valeur leurs liens vers leurs sites. Les résultats des recherches peuvent parfois être altérés par la présence de ces liens renvoyant vers ces sites.

Internautes isolés et grands groupes ne se battent pas à armes égales.

C'est avant tout une vision libérale que défend JFL. Dans son système, il pense que nous remettons absolument tout en question, que nous repartons de bases nouvelles après avoir rompu avec tous les dogmes. Le problème c'est qu'il reste encore un discours qui reste encore très tenace. Tellement ancré dans les esprits qu'ils sont convaincus qu'il a toujours existé et qu'il fasse même parti de l'ordre naturel du monde. Je veux parler du Capitalisme lui-même. Il peut lui sembler absurde que nous voulions "gérer nos vies selon des critères de rentabilité", mais c'est déjà ce que nous faisons. Et c'est aussi ce que font les entreprises/institutions d'internet.

Surtout lorsque nous connaissons les menaces qui pèsent sur le savoir. Google scanne les livres des grandes bibliothèques du monde, il détient alors un capital non négligeable de savoir. Ce sera Google bientôt le lien entre votre domicile et la bibliothèque, entre vous et le savoir. Par conséquent, il peut vous orienter vers n'importe quoi, il pourra peut-être vous ôter le choix, ou en vous influençant, ou en mettant en valeur certains livres, ou encore en ayant d'autres indisponibles. Et ce n'est qu'un exemple.

Cette vision libérale en est en fait une double. Vous avez premièrement la multiplication des discours et des savoirs par la perte de légitimité [on pourrait comparer ça à la religion : personne ne sait vraiment si Dieu(x) existe(nt) ou pas. Aucune religion alors n'a de légitimité réelle car elle n'a aucune preuve scientifique tangible. C'est alors "qu'on ne sait plus à quel saint se vouer". ], pourtant les preuves existent toujours quelque part, plutôt que de les rechercher, dans le système de demain, vrai ou faux n'aura pas d'importance. Ce qui devancera la vérité ce sera le pouvoir de persuasion. C'est mon deuxièmement : Le pouvoir de sa diffusion.

Et alors pourquoi ne pas demain imaginer, enseigné à l'école, le Créationnisme, au même titre que les Théories de l'Évolution ?

Le problème et danger également, c'est la mainmise sur le savoir par certains, la création de nouveaux savoirs qui sont sans doute faux. Mais c'est aussi l'offre de nouvelles tribunes à toute idée médiatisée. Cela peut-être un avantage pour la cause homosexuelle lorsqu'ils/elles font un film, pour les prostituées un syndicat. Mais ça peut être aussi un avantage pour les fascistes qui font des spectacles... et JFL se garde bien de le dire [ou l'ignore]. Dans sa pensée, Lyotard accepte d'avoir face à face des idées fascistes à d'autres idées, il admet la possibilité qu'elles puissent triompher. Idées mises face à face sur le même terrain avec l'impossibilité de trancher convenablement puisque le savoir ne pourra plus nous aider à discerner. Ce seront, en fait, des stratégies de manipulation collectives qui se battront sans cesse. Et j'y vois un sérieux problème moral.

Lyotard compte trop sur les stratégies locales intelligentes pour contrer ces dangers. Il pense tout de suite qu'une idée intelligente sortira victorieuse automatiquement face aux idées connes. Il mise trop sur la prudence des intellectuels mais il ne pense pas une seconde qu'ils seront privés de leurs outils démonstratifs/déductifs. Comment une idée peu évidente privée de toute preuve inscrite dans le savoir peut-elle se faire valoir sans être spéculation ? Et comment peut elle vaincre une idée populiste, séduisante et en apparente vraie et logique ? (Exemple habituel : 3 Millions de chômeurs et 3 Millions d'étrangers, faîtes le calcul, -conclusion idiote- "il faut virer les étrangers : ils volent le travail" / ou / "ces étrangers sont tous des chômeurs. Virons-les").

Il n'y a qu'à voir sur Dailymotion ou d'autres sites de vidéos que des gens diffusent largement des interviews de personnalités qui défendent de drôles d'idées. La réputation de certains "intellectuels" se présentant comme "français et dissident" (je vous laisse faire la recherche) se construit à présent sur internet, l'extrême droite s'est modernisée et utilise ce nouveau média pour parler librement, défendre des idées fascistes mais impossibles à supprimer car les propos sont extrêmement mesurés et jouent avec l'ambiguïté. Ainsi un ancien humoriste reconverti dans la politique "antisionniste" continue sa carrière paisiblement sur internet tout en déclamant qu'il est l'être sulfureux et censuré de la télévision. D'autres choisissent de diffuser des documentaires retraduits sur les avortements ou sur le satanisme, la franc-maçonnerie, les attentats du 11/09/01...la liste est longue. Ainsi peut-on lire, à juste titre sur Wikipédia ceci : "Des partisans politiques de tous bords y mettent leurs vidéos promotionnelles. Une nouvelle forme de « spam politique » est apparue sur le site : des vidéos de partis politiques ont été référencées à l'aide de mots-clés populaires n'ayant parfois rien à voir avec leur contenu. Ainsi des vidéos du Front national sont apparues pour les mots-clés « Dubosc » ou « Jamel ». Ce phénomène n'est pas à sens unique et les recherches « Ségolène Royal » et « Nicolas Sarkozy » renvoyaient de même vers des vidéos sans rapport avec la politique. Le site a probablement aussi fait l'objet de fraudes au clic, sans doute à l'aide de scripts automatisés, qui ont fait remonter certaines vidéos de Marie-George Buffet et Ségolène Royal à des nombres de visualisation totalement improbables".

Heureusement, pour le moment, le virtuel n'a pas encore trop empiété sur le monde virtuel, à la façon d'un événement Facebook où pour 400 personnes invités (par exemple) seule une trentaine se présente. Je reste convaincu que la principale influence reste encore dans la rue tant que les gens sortent. L'extrême gauche n'est pas aussi présente sur le net mais elle continue sa lutte sur le terrain. Si les fascistes investissent la toile c'est parce qu'ils ne peuvent pas s'investir ailleurs. Néanmoins combien de temps résisterons nous ? Le virtuel aspire le réel, le réel a beaucoup de difficulté à attirer le virtuel dans la rue (à la façon du "NO-SARKOZY DAY" -dont la médiatisation fut largement faite sur [Facebook-Twiter-Myspace-Twikeo-et plein de blogs et plein de vidéos]- qui prévoyait 100.000 personnes au moins en France, qui fut, disons-le, raté [>prochaine tentative le 08 Mai 2010].

Reste un détail étrange, la victoire de Mickaël Vendetta à la Ferme Célébrité à 51% des votants. Une espèce de Cindy Sanders (même société de production) qui est loin de nous ramener des "papillons de lumières".

 

 

..............