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A R .1 7. A O U
- "À ces mots il déchire sa robe, découvre et frappe son sein qui rougit sous ses coups. Telle la pomme à sa blancheur mélange l’incarnat ; telle la grappe à demi colorée se peint de pourpre aux rayons du soleil. Mais l’onde est redevenue transparente ; Narcisse y voit son image meurtrie. Soudain sa fureur l’abandonne ; et, comme la cire fond auprès d’un feu léger ; ou comme la rosée se dissipe aux premiers feux de l’astre du jour : ainsi, brûlé d’une flamme secrète, l’infortuné se consume et périt. Son teint n’a plus l’éclat de la rose et du lis ; il a perdu cette force et cette beauté qu’il avait trop aimée"
Métamorphoses d’Ovide / Livre 3 : Narcisse
Voilà, depuis les environs du trente mai, un peu avant peut-être, j'ai pété les plombs. Je me suis cramé la tête, volontairement, ça a marché, j'ai des séquelles, ce qui fait que j'ai beaucoup de mal à reprendre le cours de mes pensées. Si bien explosé que reprendre mes anciennes habitudes, retrouver cette auréole qui faisait que j'étais un flambeur atypique au bistrot, stimulateur de l'intellect, ne me paraît plus naturel. Je n'ai plus autant de concentration. Effets secondaires qui tendent à me donner la certitude de mon ignorance totale quant à Moi, et pour cause, s'analyser soi-même n'est pas une tâche aisée, il faudrait pour cela ne pas avoir d'affect sur ce qui nous concerne, rien n'est objectif. L'utilité d'un psychiatre se révélerait importante car c'est une personne inconnue.
Je voulais faire un article sur les façons de s'aliéner : tous quand ils sont utilisés à outrance; les drogues, l'amour, la télévision et le travail. J'ai changé d'avis, j'ai décidé de recanaliser sur quelque chose d'un peu plus flou et plus précis. Dites vous, qu'en lisant cet article, en vu de mes capacités du moment, je me couvrirai de ridicule et qu'il ne s'agit qu'enfin d'un ramassis de conneries. Faire un article décrivant ce que ça fait de ne plus rien avoir dans la tête me paraît bêtement inutile, on sait tous ce que ça fait...ou ça nous arrivera tôt ou tard, plus ou moins longtemps. D'autre part, fustiger une fois de plus le travail, dire que oui, le travail est aliénant, dire que le prolétariat est dépolitisé, que les gens sont dans la merde, que de fait nous aussi, même si ce discours est vrai, il m'apparaît affreusement banal, ce sont des choses que je sais déjà, que vous savez déjà sans doute. Le répéter, y ajouter que je vois des mecs qui ont lâché prise depuis des lustres qu'ils parlent tout seul [entre autre] et qu'on est malheureux pour eux parce qu'ils ne savent plus l'être pour eux-mêmes, d'accord, on le dit, je le fais là. Mais c'est tout : on le sait, pensons-y de temps en temps.
Ce que j'ai retenu : c'est que nous sommes tous vulnérables, personne n'est à l'abri. Nous pouvons facilement nous (faire) démolir.
Faîtes attention à vous.
Là dessus.
Je voyais l'autre jour un pilier de bar qui avait des gestes semblables à ceux de Gainsbourg, des petits tics qui actionnaient le bonhomme au rythme de ses paroles incompréhensibles, incapable qu'il était d'articuler dans son ivresse. Soliloquant dans son coin, l'homme duquel je riais hier me sembla familier dans mon propre reflet sur une vitre à une terrasse un soir de bar. Oui, il y a bien une gestuelle commune entre ces gens là. Qu'un Gainsbourg autant qu'un pilier de bar ou que moi allions mal et que saupoudré d'ego, nous souffrîmes sans complexe en public...
C'était un peu comme ces adolescents qui se scarifiaient. Ces petits mal dans leurs peaux, pour des raisons amoureuses ou d'amour propre se triturent le bras ou autre partie du corps pour faire un espèce d'Hara-kiri symbolique, concrétiser un mal moral en un mal visible, physique. Extérioriser un mal pour expier, sortir du corps, la douleur. La plupart des ados font ça aux avant-bras, il faut que ce soit visible par les camarades. On peut se complaire dans la souffrance pour avoir un regain d'égo, pour plus de confiance en soi. Les autres étant un public donnant de l'intérêt à la personne, "Je ne suis pas seul, on me plaint, les gens compatissent, ça va mieux, le monde tourne quand même un peu autour de moi".
Méfiez vous alors dès qu'un enfant se triture des parties du corps non visibles ou lorsqu'un alcoolique a ses tics même en dehors du bistrot. Il n'y a plus volonté de démontrer aux autres son mal pour avoir un regain d'égo.
On utilise la plupart du temps le concept Narcissisme à tort. Il renvoie plutôt dans l'usage courant au concept d'Égocentrisme. La différence fondamentale entre ces deux notions, c'est la présence du public. Narcisse n'a pas de témoin dans sa souffrance, il est seul. L'égocentrique au contraire a besoin des autres pour se sentir centre de quelque chose. Je me surprenais l'autre jour à dire : "Le Narcissisme et sa part de Masochisme qui l'accompagne". J'ai pensé que j'avais tort. Puis j'ai voulu corriger : "L'Égocentrisme et sa part de Masochisme qui l'accompagne", ça me paraissait inexact : l'égocentrique n'est Masochiste qu'en présence d'un public. Dans ce cas ça donne : "L'Égocentrisme et sa part d'Exhibitionnisme..." et puis je rétablissais "Le Narcissisme et sa part de Masochisme...".Je ne vous dirai pas si je suis du genre Narcisse ou Égocentrique. Je ne le sais pas moi-même : Quand je vous disais que c'était des conneries... hein.
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