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A R .1 2. O C T
LARRY
CLARK AND CO
Larry Clark est un photographe américain. Il expose en ce moment au Musée d'art moderne de la ville de Paris. La particularité de cet artiste ; c'est qu'il met au grand jour quelque chose qui peut choquer, CHOQUER ? pas exactement. Des adolescents dans leurs ébats sexuels et/ou amoureux, seul, à deux, ou parfois plus. Il y a parfois pénétration, au delà de leur beauté, ils sont surtout désirables.
On n'a envie d'être invité, de participer. Leurs corps neufs paraissent doux, j'ai envie de les toucher, peu de poils, pas de graisse. Ils ont une innocence dans leur pécher qui me convainc immédiatement qu'une partie de jambes en l'air en leur charmante compagnie serait excellente.
Des jeunes en train de baiser ou des scènes quotidiennes respirant l'amour et l'hormone.
Les ados, sujets convoités chez les plus vieux, voilà que Larry Clark nous les expose...
Ce garçon que je pourrai mater tout habillé dans le métro : le voilà nu, sexe en érection, avec toute sa puissance sexuelle qui m'explose les yeux. Évidement, on ne fait pas semblant, on ne voit que ça, -le sexe- puis -la belle gueule- puis -le sexe-.
Ce n'est pas habituel. C'est déstabilisant.
On se sent comme pris au piège, nos réflexes sexuels sont utilisés à d'autres fins que la jouissance sexuelle. L'artiste engage notre libido dans un musée. > inversons : si je veux stimuler ma libido, je vais dans un cinéma porno, un sex-shop ou encore à domicile sur internet. Or là, je me retrouve à découvert, en public, en train de voir et d'interagir avec les images sexualisantes. Ce n'est plus seulement la personne sur la photo qui est nue, c'est aussi moi, le voyeur qui fantasme face à ces jeunes sous les yeux d'un drôle de public qui matte aussi mais qui refoule violemment. Des mondains et/ou des ignares qui font semblant que l'art est une chose pure et sérieuse et qu'en conséquence, il faut être absolument sérieux et condescendant de préférence.
Si on se sent pris au piège, j'avancerai que c'est parce que nous vivons dans une drôle d'époque. D'un coté la moralité religieuse, de l'autre le voyeurisme télévisuel. Nous ne savons plus voir un corps en tant que tel.
Nous voyons des corps nus à la télévision, avec des caches. Tantôt dans des situations érotiques, tantôt dans des situations ridicules. Paradoxalement, il n'y a jamais autant eu de personnes nues à la télévision. J'essaye de m'expliquer, on cache des corps et pourtant on n'en a jamais montré autant. N'y a-t-il pas là quelque chose de l'ordre du fétichisme qui en appelle sans cesse à notre imagination pour reconstituer selon nos fantasmes ce qu'il peut y avoir derrière le cache.
Nous serions comme un fétichiste des pieds qui passe ses journées à imaginer la forme des pieds sous les chaussures de ses collègues de bureau et qui ne pourrait supporter que quelqu'un se présentasse en Tongs sans chaussette face à lui. Le pied nu devient insoutenable pour le voyeur par peur d'être démasqué dans une excitation que la morale réprouve.
Alors est née une polémique.
Il y a-t-il réellement censure ? L'exposition est interdite aux mineurs. Et pourtant les clichés sont bien là, rien dans l'œuvre de Larry Clark n'a été coupé. Il n'y a pas censure, il n'y a qu'excès de prudence. On sait qu'une société va vraiment mal lorsqu'elle s'attaque à ses artistes. Ici point d'attaque envers l'artiste. Voilà ce qui nous déstabilise. Comment se révolter lorsqu'il n'y a pas d'attaque frontale ? L'hygiénisme permanent dans lequel nous vivons nous immobilise totalement. Comment combattre une censure qui n'en est pas une ? Nous ne pouvons pas contrer l'argument de la protection des mineurs dans le contexte dans lequel nous vivons. Comment pouvons-nous reprocher à l'institution d'état d'être prudente et de se protéger contre les plaintes des fanatiques ?
Ce sont des conceptions sur le corps ancrées profondément dans les esprits qu'il faut changer. Il nous faut un nouveau rapport au corps. Dans les conditions actuelles où systématiquement un corps nu est assimilé au voyeurisme et au rapport sexuel, il ne faudrait peut être pas révéler aux jeunes des photos qui pourraient être mal comprises. Je pense bien que ce soit involontaire de la part de la mairie de Paris, que c'est une occasion d'interroger les adultes face à la sexualité des adolescents. Il faut repenser le sexe et le corps. Avec l'avènement d'internet, l'accès aux vidéos pornographiques est aisé, doublé par la téléréalité, nous détruisons nos sexualités. Nous devenons tous voyeurs et il n'y a plus de place à la contemplation des formes corporelles. Nous détruisons notre imagination par la profusion des images, le cache noir ou le floutage systématique nous fait porter toute notre attention sur le carré, nous ne voyons plus le reste.
Il faut réapprendre le corps et sortir de nos pulsions voyeuristes. La meilleure des solutions pour couper tout désir voyeuriste serait d'apprendre à être nu, il faut cesser de se cacher. Le jour où nous serons nus dans l'indifférence, sans que cela puisse exciter les autres : nous aurons réussi. Nous devons fabriquer une imagerie du corps nu au dehors de la pornographie, de l'érotisme, ou de la souffrance. Larry Clark y parvient dans la plupart de ses clichés : premièrement sa photographie est en noir et blanc, deuxièment les lumières et les ombres sculptent les corps et inventent des formes nouvelles (ou perdues). Nous n'avons malheureusement pas tous les instruments pour voir cela. Nous arrivons avec nos gros sabots obnubilés par nos névroses sexuelles.
Le voyeurisme est obsédant.
Ce week-end, une mère a appris la mort de sa fille en direct sur une chaîne italienne. L'audimat a bondit, cinq millions de spectateurs. Une fille a été violée et tuée par son oncle. C'est une pulsion voyeuriste de mort qui s'est assouvie collectivement, avec plus de cinq millions de spectateurs (et des millions d'autres) qui ont assisté à cette scène pour faire les choux gras des Jean-Marc Morandini qui, sur fond de dénonciation, participent allègrement à la propagation de ces images.
Sans doute que cet oncle était obsédé par cette adolescente, il a du se contenir jusqu'au jour où la tentation fut trop forte. Je préfère un Larry Clark qui assume. La moralité hygiéniste qui refoule, et les médias qui nous tentent. Au diable le cache noir, cours de naturisme obligatoires ! Nous sommes en train de fabriquer des monstres.