Hier matin, un ancien camarade m'a téléphoné. Je n'ai pas décroché.
Vous savez, c'est ce genre de personne qu'on ne peut pas s’empêcher
de trouver un peu bête. Un ancien camarade que, sans mon ancienne militance,
je n'aurai pu rencontrer tant nos vies sont opposées. Un mec avec un
accent Ch'ti bien prononcé et aux emportements verbaux parfois risibles,
d'autres fois très agaçant tellement l’immédiateté domine face à la
faiblesse d'une réflexion plus poussée.
En
écoutant le message laissé sur mon répondeur, il vient parler d'un rassemblement
à Lille en réaction et en solidarité à un fait divers tragique qui s'était
produit deux jours auparavant. Un chômeur s'était immolé devant un pôle
emploi à Nantes et qui avait suscité peu d'indignation médiatique. Ceux-ci
préférant aborder le cas d'un Sud Africain, champion olympique ayant
vraisemblablement assassiné sa femme. Bien sur, le machisme mérite d'être
combattu tout autant que l'organisation de la pauvreté par le chômage.
Mais la façon dont les médias daignent se pencher sur ces affaires sordides
devient énervante. Chaque jour le machisme fait des victimes : pas besoin
d'aller voir en Afrique du Sud ! La misère et bien installée chez nous !
Les médias : « regardez là bas » (pour ne pas voir ICI, là où nous sommes
capables d'agir). Nous n'avons aucune marche de manoeuvre sur cette
affaire là, sauf si l'on décide d'aller en Afrique du Sud mais ça n'aurait
pas de sens...
Je
n'ai donc pas prévu d'aller en Afrique du Sud. Je voulais d'ailleurs
aller aujourd'hui au Louvre Lens pendant mes vacances. Et puis est venu
en moi un sentiment de culpabilité. De quel droit je méprise cet ancien
camarade ? Suis-je si idiot pour le regarder de haut et souhaiter une
révolution lorsque je suis bien assis ? Le paradoxe, c'est que je lui
reproche de ne pas être assez éclairé et qu'il est pourtant en mouvement
pour répondre au drame nantais pendant que je vais refaire le monde
dans des diners ou au café en finissant mes phrases par « on se retrouvera
sur les barricades » sans trop y croire mais en la désirant.
Et
beaucoup de monde désire ces barricades...
J'hésitais à participer à ce rassemblement à Lille. J'irai surtout pour
comprendre cette différence entre lui et moi. Comprendre pourquoi il
y a tant de drames et de précarité sans que la révolte éclate. J'irai
pour voir où en est cette révolution dont on parle tant et qui ne vient
pas.
J'ai
compris que j'étais un futur bourgeois en puissance. Que même
du haut de mes 400€ mensuel, je n'étais pas de sa trempe.
Que si tout va bien dans mes études et dans quelques années,
j'aurai probablement une paye aux alentours de 2 000€ quand lui
restera dans sa "condition" ce que Mélenchon appelle
le "précariat", mélange entre prolétariat
et précaire.
Alors ce mépris, je l'ai surtout envers moi-même, je l'ai
parce que je m'autoflagèle tout le temps. Je pensais que vivre
avec 1 500 €, c'était suffisant et qu'être riche c'était
mal. J'ai toujours été économe sauf sur l'alcool.
Des contradictions je n'en ai jamais eu autant et je ne les ai jamais
aussi mal assumées. Tout le monde n'est pas comme moi. La littérature
et l'art me sauve de ma future condition de bourgeois, c'est vite dit.
Je veux démontrer une rigueur économique avec laquelle
je suis né alors que de toute façon j'ai les moyens de
ne pas me l'appliquer. Je suis bien beau avec de belles idées
mais ça ne pèse pas lourd face à ceux qui n'ont
pas le choix. Tout cela me parait fortement chrétien, une belle
repentance permanente. De bien beaux sentiments, de la belle tendresse
à l'égard du petit prolétariat, j'aurai dû
lui dire d'aller ouvrir un bouquin de temps en temps, ou peut être
lui dire qu'on n'était pas du même monde et que par conséquent
je ne pouvais rien pour lui.
Je suis en mal de légitimité, je me repens tout le temps,
je passe mon temps à me justifier alors qu'on ne m'a rien demandé,
par peur d'être soupçonné de mal faire. Et au final
on sape tout ça quand on y trouve ces contradictions. Cessons
la repentance et la légitimité viendra. Savoir affirmer
sans au préalable chercher de justifications "poser ses
couilles" sur la table et être cash, ne plus avoir peur.
Le jour où j'arriverai à sortir de cette flagellation,
je serai enfin un adulte et plus un enfant timoré cherchant toutes
les explications de peur d'avoir fait une grosse bêtise, ce qui
m'a suivi toute ma vie au plus profond de moi sans que personne me l'ait
dit de faire, c'est venu tout seul.
Seulement voilà, entre justifications et reproches, il est difficile
de sortir d'un cercle vicieux et infantilisant. J'essaye d'être
enfin responsable et ça passe par des prises de décisions,
elles sont dures et j'ai toujours été lâche.
Quant à ce rassemblement, je n'ai pas réussi à
aller au Louvre, il était 14hoo et le prochain train était
à 15h45, ça ne servait à rien d'y aller pour y
rester qu'une heure. Devant Pôle Emploi, on était neuf.
La révolution ne viendra pas car les bourgeois ne sont pas assez
touchés.