15.06.2013

GURSKY

(ça se répéte)

 

Andréas Gursky - Centre Pompidou - 1995 - Photo couleur, 137,6 x 263 Tate Modern



Gursky est un photographe, vivant, allemand, qui est né à Leipzig mais dont les parents qui étaient également photographes ont fui la RDA pour aller à Düsseldorf. Contexte de l'après guerre, Allemagne massivement bombardé, reconstruction rapide et vite utilitaire, Düsseldorf se situe dans le poumon industriel de l'Allemagne, la Ruhr. Il est membre de ce qu'on appelle l'école de Düsseldorf en photographie. Gursky y fut élève et a profité des enseignements de Bernd & Hilla Becher. L'école de Düsseldorf prône la " Neue Sachlichkeit ", c'est-à-dire une Nouvelle Objectivité en photographie.

Les photographies d'Andréas Gursky sont parmi les plus chères du monde, parmi lesquelles ont peut compter " Rhein II " et " 99 cents ".

" Centre Pompidou " est une photographie en couleur qui mesure 1m37 sur 2m63, c'est un format très grand pour une photographie. Le spectateur est comme plongé dans cette œuvre qu'il ne peut dominer.
C'est une photographie tirée numériquement, c'est un processus volontaire et peu innocent dans le choix, le numérique est symbole de modernité et d'industrialisation. Une photographie numérique c'est la répétition de pixels sur une surface. (Rupture avec les Becher, qui travaillaient, eux, en argentique). Le numérique permet aussi une copie à l'infini de l'œuvre dématérialisée.

Dans l'image.
En plus du format très grand, la construction de l'image aspire le spectateur. Une ligne d'horizon se dégage rapidement au centre de l'image, c'est la limite au fond entre le sol et le mur du fond. Cette ligne fait écho à une autre ligne un peu au dessus, entre le plafond et ce mur. Gursky construit sa photographie comme un caisson (ce qu'est effectivement la mezzanine du centre Pompidou). L'œil du spectateur est enfermé dans ce caisson. Cette photo est " hyper cadrée ", les proportions des murs de gauche et de droite sont les mêmes, la taille occupée par les deux murs est la même que le mur du fond (1quart + 1moitié + 1quart).

Malgré l'aspect impersonnel de cet espace, on reconnait l'architecture du centre Pompidou pensé par Renzo Piano grâce aux tuyaux qui traverse l'ensemble du bâtiment. On peut dire que Gursky a un rapport avec l'architecture, il pense sa photographie comme un espace à structurer. Il a aussi la froideur documentaire nécessaire aux photographies d'architecture. On maîtrise et on comprend clairement l'espace dans cette image.

L'espace est traversé, comme le centre Pompidou, constamment par des lignes blanches qui se répondent : à la fois les tables blanches, à la fois les bandes de néons qui allongent l'image aussi bien verticalement qu'horizontalement. Gursky en joue, c'est l'œil du photographe, ces lignes ne sont plus reflet de la réalité, elles deviennent motif, c'est là où le photographe devient peintre abstrait, c'est aussi la forme qui prévaut.

Il semblerait que nous soyons en face d'une exposition d'architecture, il n'y a pas de peinture, pas d'objets d'art exposés aux murs ni sur les tables. Il y a surtout des maquettes en bois (on en compte 5 peut être 6) et des tables dont on devine des photographies et du texte sous des planches de plexiglas, mais on ne peut voir le contenu puisque la photo se veut plutôt générale. D'ailleurs ce n'est pas l'exposition qui intéresse Andréas Gursky. Gursky nous fabrique un environnement froid et d'une hostilité neutre, générale, objective. La lumière blafarde et industrielle du néon éclaire un dédale de tables blanches dans lequel on déambule, on erre, sans trop savoir pourquoi avec une certaine lassitude sur des projets architecturaux (d'ailleurs, il n'y a pas grand monde 13 personnes au total pour un espace publique assez grand).

Les personnes vagabondent entre les tables, personne au premier plan, les silhouettes sont de dos et imprécises, parfois même les personnages sont en mouvement, les contours sont flous, quasiment fantomatiques. D'autres tentent de s'intéresser à l'exposition avec nonchalance, ils daignent se pencher parfois. Ce sont des gens seuls. C'est la solitude du spectateur indifféré qui étonne. Le touriste solitaire qui va dans l'exposition peut être la moins intéressante de Beaubourg. Et pourtant, point de fuite, une rencontre est parfois possible. Dans la lassitude d'une salle blanche aux éclairages uniformes, en fin de parcours, on peut se rencontrer.

C'est un monde un peu apocalyptique, on se croirait dans un livre de Michel Houellebecq ou dans le clip de Gangnam style. Le photographe affronte brutalement la réalité froide de notre époque. De manière neutre, Gursky montre l'homme du XXIème siècle. L'époque est au néo-libéralisme, géométrie mathématique de l'architecture qu'on retrouve dans la photo de Gursky, et répétition générale un général qu'on retrouve aux quatre coins du monde, que ce soit dans les quartiers d'affaires ou dans les magasins IKEA, on est face à un monde globalisé où les matériaux sont pauvres et industriels. Les grands carrés de moquette grise (moquette de bureaux), les tables, les néons, les vêtements, tout est général et standardisé. Mais c'est notre monde. Même dans les musées lieux d'art et de savoir faire, le lieu commun a pénétré. (Paradoxe de montrer un savoir faire architectural sur du papier dans un lieu qui est purement fonctionnel et dénudé)

Gursky trouve la parade, il acte notre monde, l'affronte brutalement, mais il crée une nouvelle esthétique que les magasins IKEA refusent par la mise en scène dans leurs catalogues, par la création " d'ambiances artificielles ".

Il y a chez Gursky une forme de Nouveau Romantisme. Des héros solitaires déchus, du Chaos par l'absolue froideur de la scène par le terrible constat d'un monde dégagé du sensible, monstre tentaculaire de propreté administrative et d'hygiène quasiment scientifique. La notion d'Infini par le numérique, mais aussi par la répétition extrême des lignes de la photographie mais encore par la mise en évidence de l'usage des matériaux généraux.

Enfin, le " Sturm und Drang ", tempête et tourment, une crise lente et froide nous traverse, l'individualité sensible du spectateur perdu, une dépression propre nous accable (le cri, Munch). Le monde s'est déjà effondré, il n'y a plus d'épique. On est alors dans l'errance et la contemplation. (Caspar David Friedrich).

 

 

 

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