Lundi 03 Mars

"Casse toi alors pauvre con !"

 

Je jouais l'autre jour au Monopoly avec Lilou, et puis en même temps, je parlais de tout et de rien. Elle me parlait de Dada car elle avait vu que je lisais un livre sur Dada ("Tout est Dada Dada est tatou" de Tristan Tzara éditions GF). Elle semblait connaître le sujet. Miaou-Miaou etc (je vais traduire), ça donne ça :
"Je me pose souvent la question du système de pensée (concept), les grands écrivains ont tous un système de pensée qui leur est propre : Une idée, une question à laquelle ils consacrent leur vie. Cette question devient une obsession, tous les faits et gestes sont interprétés et rapportés à cette question. Un système de pensée c'est une construction fictive qui est comme façon de interpréter le monde, faire passer une phrase objective, se l'approprier, la comparer à la question obsédante, puis lui donner un nouveau sens." Elle me donnait comme exemples : L'absurde de Camus, l'existence pour Sartre (tout de suite les incontournables, elle m'énerve). "Mais aussi, là je sais que ça t'intéresse Loïc, une problématique à laquelle on consacre une vie de soucis. Comment est-il possible de vivre pour Patrick Modiano ? ( fixette depuis longtemps sur Modiano, mythe créé et même interprété)"

J'étais plutôt d'accord et je lui disais dans sa langue (de chat) : "La capacité réelle d'un écrivain est là selon moi. Un écrivain est capable de faire tout une vie d'oeuvre sur un même sujet, sur une même problématique, toute sa vie, en la racontant toujours de manière différente. Sa capacité à montrer la même conclusion avec des histoires ou des démonstrations qui ne se ressemblent pas. L'écrivain est un sacrifié, il se met au service des autres afin que la problématique chez le lecteur aie des réponses à disposition, à condition que l'écrivain achève son œuvre." Elle était heureuse de voir que je comprenais sa réflexion : "Ainsi chaque écrivain apporte son système : L'écrivain peut être un génie mais il est celui qui transmet une idée au public en premier lieu. Un homme accomplit ne se trouve pas derrière un livre mais derrière plusieurs livres. Celui qui adopte, accumule, compare des systèmes est un homme qui est plus complet."

"Dis moi, mon chat, c'est quoi ton système de pensée ? La pâtée pour chat est-elle digne pour les chats ? ou c'est autre chose ?" Je jetais les dés, je faisais un douze, j'avais les trois quarts du jeu et elle se faisait dépouiller à chaque fois qu'elle avançait, la ruine était proche. Elle réfléchissais à sa réponse."Non mais toi tu sais tout faire, t'es un champion du monde. Vous êtes vraiment tous pareils. C'est pas parce que je suis une chatte qu'il faut me traiter comme si j'étais incapable d'arriver à quoi que ce soit. Moi je suis fière d'être une chatte et je n'attends qu'une chose, c'est que le monde de demain soit gouverné par les chattes. L'avenir de l'homme c'est la chatte ! Il y en a marre d'être traitée comme des chiennes et de rester à l'intérieur tout le temps, moi je veux sortir, j'en ai plus qu'assez de ma litière. Je veux la libération de la chatte !" Et dans sa furie, elle me lança un coup de griffe sur la joue.

J'ai appris naturellement, à force de me torturer l'esprit, qu'il fallait parfois se taire. Je crois que la radicalisation est un moment nécessaire dans la vie de la pensée, elle permet l'excès, le refus. Il est important dans la constitution de la pensée d'avoir cette période, elle forge le sens profond de ce que l'on veut, de ce qu'on peut accepter, elle permet la violence. On change le discours, ce n'est plus un débat, c'est comme un chant de revendications. On y met de la passion, on fait rugir les tambours, on s'adopte à un clan, un parti, une caste, ou que sais je ? Une armée, un groupuscule terroriste ou une association d'écologistes. Bref, c'est une étape nécessaire. Je me tais, je me dis que c'est une bonne chatte dans le fond, elle est juste victime d'un processus qui nous touche tous, c'est ce qu'il arrive aux mal baisés entre autre. Le tout est de savoir sortir de cette étape là et qu'il faut avoir absolument en objectif l'idée de l'homme complet. Ne pas se concentrer sur une idée mais sur plusieurs idées. Je me levais en la regardant dans les yeux en souriant et je quittais la table ; "Oué c'est ça casse toi alors pauvre con !" déclara Lilou exaspérée.

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