Dimache 15 Octobre ; De Profundis.

Ainsi je passais mes soirées à Magnol, à pondre des dessins ou des écrits. J'étais seul à l'étage, silence presque absolu, petite bête passait par là, et me rappelait que j'étais à la campagne. J'écrivais, lorsque mon cousin Mathieu, entra. J'avais oublié ce soir là de fermer le pêne de la porte. Il était là, je ne m'arrêtais pas d'écrire. Il regarde par dessus l'épaule, et il commence à lire. J'aime beaucoup ce gosse, j'ai l'impression de m'être rencontré à son âge. Sauf que lui chausse du 45 en CM2 alors que je faisais du 39. Et puis on n'a pas la même gueule. Mais ce petit me ressemble, c'est troublant. Parfois, j'ai envie de lui dire tellement de choses ; "non, tu ne devrais pas faire ça, s'il t'arrive ceci, n'agis surtout pas comme ça". Un moyen d'éviter nos regrets. Mais, je me dis que ce petit, ce n'est pas moi, il est sans doute plus intelligent que moi à son âge, c'est une crème et il a beaucoup d'assurance, il m'impressionne. Il a surtout un atout, c'est le cadet. Il a eu le temps de voir toutes les conneries que ses frères ont pu faire (faut dire, j'en faisais aussi)... Il ne comprend pas ce que j'écris, il me demande quel est le sens profond de ce que j'écris. Je lui répond que pour une fois, il n'y en a pas. J'essaye juste de faire une belle chose.

_C'est triste ce que tu écris là : Pourquoi tu fais ça ?
A ce moment précis, j'étais réellement tenté par cette phrase de grand, tu le sera quand tu seras plus grand mon petit bonhomme et puis cette autre phrase. J'ai choisi l'autre phrase, parce que lorsque j'étais petit, je voulais être grand et le temps était interminable.

_Tu vois Mathieu, lorsque tu grandiras, tu verras les gens seront de plus en plus complexes, à tant vouloir se différencier. Les gens, tes amis, tes copains, tes copines changerons, certains deviendrons des rappeurs ou des sadomasochistes ou des fashion's victimes ou des skateurs peut être même des cailleras, d'autres ne changerons pas. Pour ça tu as de la chance, tu vis à la campagne, tu ne peux pas t'habiller correctement sans te salir, donc tout le monde est logé à la même enseigne. Chez nous, c'est autre chose, les gens font des manières. Et tu n'imagines pas le nombre de "dépressifs" qu'il y a chez nous. Ici, je me sens bien, j'aime faire des choses simples. Je me libère un peu de toutes ces manières.
_Mais pourquoi c'est triste ce que tu écris ?
_Tu trouves ça triste, pas moi. Je trouve ma vision juste, c'est un autre point de vue c'est tout. Ce qui est triste c'est se mettre des illusions sous la dent, et d'échouer constamment, tu ne trouves pas ? Personnellement, les illusions , j'essaye au maximum de m'en débarrasser, et si la chance vient, si le vent tourne, je choisirai mes illusions, mais en attendant tu vois, il n'y a pas d'illusion valable pour essayer d'être heureux. Ce n'est pas triste ce que j'écris, c'est triste pour toi, car elles marquent un niveau bas dans tes illusions. Elles sont justes ces visions, c'est le grand malheur de la métaphysique.
_ ...
_Désolé, je ne devrais pas te parler comme ça. Je vais te donner un exemple... Attends je mets un vinyle (je sors le vinyle de Strauss, avec l'introduction de "Ainsi Parlait Zarathoustra" > pour ceux à qui ça ne dit rien, c'est juste la musique de la publicité Bosh ou encore la musique de l'odyssée de l'espace. Je mets le vinyle... Commence la musique doucement. Je me retourne vers lui, l'emmène sur le poulailler (entendre ici, balcon). J'éteins la lumière de l'étage -obscurité-) Tu me vois ? (il répond oui de la tête) Bon, maintenant regarde par là. ( Je fais un signe vague devant moi, autrement dit, je désigne la cour sans précision ) ... Qu'est ce que tu vois ?
_ Je vois la cour...
_ Non, pas ça, Qu'est ce que tu vois après ma main ?
_ Il fait noir, y'a rien.
_ Exactement, tu sais c'est quoi ?
_ Le vide.
_ Et le vide, tu sais ce que c'est ?
_ Non.
_ C'est la mort.
_ Tu es fou !
_ Nan, écoutes bien, la mort est ce qui n'est pas, la mort n'est qu'une chose simple, un passage de l'existence à l'inexistence. Toute fin est triste, Mathieu, mais la mort, ce n'est que du vide, du rien, de l'inexistence. Tu as peur de la mort, moi aussi, un petit peu, mais au fond, si on est mort, on ne sera pas triste parce qu'on existera plus. Tu as vu le jour, moi aussi, on vis parce qu'on est là, on ne nous a rien demandé, mais tu n'imagines pas tout ce qui n'existe pas. Pourtant nous ne sommes pas tristes des choses qui n'existent pas. La mort n'est qu'un retour à l'inexistence. Le seul moyen d'échapper à l'inexistence : c'est de marquer les esprits, de se graver dans la mémoire collective, pour que notre nom existe encore puisque la mort physique est inévitable. Pour ceux qui n'ont pas réussi, on fait quand même un petit décorum, pour les proches, pour poursuivre un peu l'existence du personnage. Pour le défunt, on dit qu'il va au paradis, ou que son âme part dans l'espace vers d'autres constellations, d'autres disent qu'on se réincarne. On prolonge l'existence par tous les moyens, la disparition est insupportable, et d'autres font des enfants. Libère toi de cette mort là. Ne touche pas la mort, la mort n'est que la mort. Même si on n'est pas surs de nous du tout, ne t'emprisonne pas dans cette existence. Apprends à être heureux pour l'instant présent. Quant à Dieu s'il existe, il vaut mieux y croire lorsque les vieux jours viendront, tu sais on a rien à perdre une fois mort, alors il vaut mieux y croire. Tu comprends ?
_ Non... mais tu pars trop loin. Je n'ai pas besoin de ça.
_ J'oubliais, tu n'as que 11 ans. (J'ai vraiment eu honte de moi, de lui avoir livré tout ça, je rentrai et je me remettai à écrire. Je ne pus continuer, je me mis alors à dessiner.) Laisse moi un peu tranquille s'il te plaît.

Il venait de vivre un petit quelque chose qui le dépassait, il voyait ma gène, il partit en me disant à tout à l'heure. Il n'avait pas la même gravité que moi, je prenais le sujet très au sérieux et la musique de Strauss augmentait cet effet, et lui était spectateur. Moi, j'étais dans l'univers prophétique, j'avais pris mon rôle sérieusement, mon ton était bon, la mise en scène aussi, mais décidément, je n'arrivais toujours pas à saisir la mort qui me rendait tout aussitôt pathétique. Même ceux d'Auschwitz n'y arrivaient pas.

A son âge, il n'était encore qu'un enfant, bercé dans ses illusions. Peut être était-il intelligent, peut être était-il curieux mais il ne se posait pas ces questions. Je me rendis compte qu'il n'avait pas besoin de ces réponses, pas pour l'instant, mais je savais qu'au moment venu il se souviendrait de cette drôle de soirée et qu'il saurait à qui poser ces questions. Mais je ne lui répondrai pas, si ce n'est que ceci : "Si je te donne tout d'un coup, tu sera déçu. Lis des livres, c'est plus long et tu pourras vraiment travailler sur toi... "

Peu après, en revenant du Lot vers la ville, j'ai compris que non. Non, il ne se posera pas ces questions. Je me trompais. C'était un garçon de la campagne qui malgré tout ce que l'on peut dire, reste l'endroit de la simplicité loin de la frénésie urbaine. Non, il n'ouvrirai pas de livre sauf s'il aurait des difficultés sociales. Non, je n'étais pour rien un type simple et que la ville, que les hommes ensemble par oppositions constantes bâtissaient le progrès. La campagne était vraiment fascinante et elle a encore beaucoup à m'apprendre. Le seul vrai problème existentialiste à la campagne était l'héritage. Ainsi fermier qui avait reçu l'exploitation de par son père devait avoir fils pour sauvegarder le patrimoine familial, une évolution plus lente, qui traversait les générations, de père à fils à l'infini. La mort n'était qu'un problème que lorsqu'elle touchait l'héritier. L'existence avait une raison, une mission : reprendre le flambeau du père et le donner à son propre fils. Et puis finalement je me disais qu'après tout, avec toutes ces nouvelles techniques de communications en voie vers la mondialisation, la campagne changera radicalement, ressemblant de plus en plus à la ville. La télévision est accessible là bas, la ville a une emprise sur la campagne. Les systèmes de différenciation par effet de mode vont commencer, les tentatives de ressemblance de la ville vont commencer. Ce cousin, changera-t-il ? Connaîtra t-il les tourments idéologiques de la ville ?

(à suivre... Dans la réalité, pas dans le site.)

 

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