Dimanche 29 octobre :


RENCONTRE D'UN AUTRE TYPE


EXPOSITION DE SITUATION :


Le fœtus s'éveillait, accroché à la paroi de l'utérus. Le cordon ombilical le retenait, comme une laisse. Le petit corps voyageait dans le placenta, nageait, flottait tel une méduse. Le fracas mécanique des organes de la mère permanent ne trouble pas les conditions de vie du fœtus. Il semble être imperturbable dans sa petite bulle en une fine peau transparente : le "coussin du liquide amniotique". L'œuf est dans le noir absolu. Il vit paisiblement entre sommeil et inconscience, quelques fois il réagit, bouge du pied, sourit, émet une esquisse de cri. Les journées passent, les nuits. Parfois, on perçoit certains bruits de l'extérieur. On sent les mains de la mère et des autres gens, à travers la peau du ventre... Il se passe quelque chose dehors, L'œuf est l'objet de l'attention du dehors, comme le monde a l'air d'être froid. Le fœtus veut rester tranquille, il donne un coup de pied. Voilà que toutes les personnes, surtout des voix féminines s'exclament. Oh! et Ah ! suivit de rires forment un brouhaha peu mélodieux. Décidément, il y en aura encore pour quelques mois...

Soudain, une trappe s'ouvre, tout est noir, aspiré par le trou, le fœtus s'engouffre à l'intérieur, la trappe se referme. Une petite lumière s'allume, "issue de secours". Puis, les néons s'allument.

FŒTUS _ Qu'est ce que je fais ici ?
La salle n'était pas très grande, appartement style baroque, de grandes tentures d'un rouge Bordeaux nappent la pièce. Les meubles Louis XV, style classique, peu nombreux : un bureau, trois chaises, un fauteuil, un canapé, une horloge sans aiguilles. Le fœtus s'était matérialisé en un homme sans poils, ni cheveux. Yeux bleus très clairs, habillé en une combinaison blanche. Les murs étaient peints en un jaune d'œuf délavé, des boiseries dorées un peu craquées. Le plafond haut, deux grands néons éclairaient la pièce.
JEAN MARAIS (avec sa voix grave)_ Je vous attendais...
FŒTUS _Qui êtes vous ?
L'homme était sur sa chaise, le fœtus ne l'avait pas vu, il portait une soutane noire et avait les mêmes traits que Jean Marais. Il se tenait sur son bureau les deux coudes posés, le menton sur les mains. Il avait l'air décontracté et il regardait avec attention le fœtus.
JEAN MARAIS_ Aucune importance, je vous ai fait venir pour vous soumettre un choix.
L'homme se retourne, actionne un bouton sur une télécommande. Les tentures s'ouvrent et laisse découvrir un mur couvert de petits écrans. Tous allumés. Des dizaines de petits téléviseurs. Le fœtus s'approche.
JEAN MARAIS_Regardez...

Le fœtus choisit un petit téléviseur, il voit. Une autoroute, et, d'un coup, le pneu d'une voiture éclate. Le conducteur perd le contrôle du véhicule, la voiture tape contre la rambarde de sécurité, puis elle vient se fracasser sur une autre voiture : carambolage. Un accident abominable, les voitures ne sont plus que des carcasses en tôle broyées, des lanières en ferraille dispersées sur la route, des éclats de verre sur la chaussée, et l'horreur des blessés. L'image change. Une femme dans une cellule, certainement dans un hôpital psychiatrique, crie à l'agonie dans sa camisole tachée de sang, le mur peint par le sang de sa tête. Et la femme insiste puis va se rencogner dans son embrasure en émettant de nouveaux cris. Précisons que les téléviseurs ne possèdent pas le son. Une autre scène, des soldats, omniprésence du sang. L'horreur et la barbarie de ce monde si violent. Une autre scène encore, des coqs qui se battent. Et puis, des arbres qui tombent, la défaite amoureuse d'une vieille dame, des poissons mangés par une baleine, des taureaux lynchés à la corrida, des oiseaux qui se tombent contre des vitres. Le spectacle.

Le fœtus, à partir du moment où il avait passé la trappe, avait acquis une conscience, il connaissait les choses basiques de ce monde tel l'amour, l'amitié, la joie, le bonheur... Les sentiments que les hommes avaient créés pour vivre ensemble, leur nature aussi bien perverse que bienfaitrice, il connaissait. La scène était matérialisée par les souhaits inconscients du fœtus, l'étrange personnage n'avait donc aucune existence physique tout comme la pièce, tout comme la mise en scène et sa conception de lui-même. Il parlait le Français, sans l'avoir appris, tout lui semblait automatique. La scène bien qu'idéaliste était réelle. Le fœtus avait conscience de son statut et il comprenait parfaitement ce que les écrans émettaient : la réalité du monde extérieur.

JEAN MARAIS _Votre présence ici monsieur est justifiée par le fait que vos parents vous ont souhaité. Vous existez parce que vos parents ont fait le choix d'avoir un enfant. Je suis là pour réparer une négligence de la part de vos tuteurs, à savoir si vous, vous souhaitez voir le jour... Ne me répondez pas tout de suite. Mais, vous êtes la personne concernée dans l'histoire, on vous attend dehors, et on ne vous a même pas demandé votre avis. Vous avez déjà un statut légal, une existence pénale, vous avez déjà votre chambre à coucher, vous avez peut être déjà un prénom. Je vous offre une occasion en or monsieur, nous sommes dans le ventre de votre mère et je vous offre la possibilité de choisir, de donner votre avis. Vous avez pu voir sur ces écrans un aperçu du monde dans lequel vous allez vivre. Si vous naissez, vous serrez projeté dans cette société, nous vous rendrons préalablement votre ignorance et vos lacunes. Vous allez vivre avec d'autres gens, vous aurez sans doute un travail, peut être une femme et des enfants. Résumons, vous aurez probablement une vie comme les autres, assez ordinaire. Je ne suis pas devin, ni voyant, je ne vois pas en l'avenir. Ma tâche est beaucoup plus simple : J'accompagne.

FŒTUS _ Qu'attendez vous de moi ?
JEAN MARAIS _ C'est très simple ; votre avis. Voici deux portes, l'issue de secours qui vous mènera droit à la mort et voilà celle-ci par laquelle vous êtes entrés qui vous mènera à la vie. Je vous averti, il n'y a pas de bon choix. Je m'en vais, ne tardez pas trop, ici le temps subit une variation, le temps n'est pas arrêté... Il est accéléré. Bonne chance.

L'homme s'en va par l'issue de secours, le fœtus se retrouve seul dans la pièce, l'homme renferme la porte sur lui, les écrans s'éteignent. Le doute s'empare alors du fœtus.

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