M A R D I - 0 8 - S E P T

 


E.X.T.R.A.I.T

 

 

_ " La journée commençait dans un enchantement. J'éprouvai la fraîcheur du matin, en plein soleil. Mais j'avais mauvaise bouche, je n'en pouvais plus. Je n'avais nul souci de réponse, mais je me demandais pourquoi ce flot de soleil, ce flot d'air et ce flot de vie m'avait jeté sur la Rambla. J'étais étranger à tout, et, définitivement, j'étais flétri. Je pensai aux bulles de sang qui se forment à l'issue d'un trou ouvert par un boucher dans la gorge d'un cochon. J'avais un souci immédiat : avaler ce qui mettrait fin à mon écœurement physique, ensuite me raser, me laver, me peigner, enfin descendre dans la rue, boire du vin frais et marcher dans les rues ensoleillées. J'avalai un verre de café au lait. Je n'eus pas le courage de rentrer. Je me fis raser par un coiffeur. Encore une fois, je fis semblant d'ignorer l'espagnol. Je m'exprimai par signes. En sortant des mains du coiffeur, je repris goût à l'existence. Je rentrai me laver les dents le plus vite possible. Je voulais me baigner à Badalona. Je pris la voiture: J'arrivai vers neuf heure à Badalona. La plage était déserte. Je me déshabillai dans la voiture et je ne m'étendis pas sur le sable: j'entrai en courant dans la mer. Je cessai de nager et je regardai le ciel bleu. Dans la direction du nord-est: du coté où l'avion de Dorothea apparaîtrait. Debout, j'avais de l'eau jusqu'à l'estomac. Je voyais mes jambes jaunâtres dans l'eau, les deux pieds dans le sable, le tronc, les bras, et la tête au dessus de l'eau. J'avais la curiosité ironique de me voir, de voir ce qu'était, à la surface de la terre (ou de la mer), ce personnage à peu près nu, attendant qu'après quelques heures l'avion sortît du fond du ciel. Je recommençai à nager. Le ciel était immense, il était pur, et j'aurais voulu rire dans l'eau."



Georges Bataille, Le Bleu Du Ciel.

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