L U N .2 4. O C T

DON QUICHOTTE

 

 

L'automne est déjà bien consommé, je suis rentré chez moi avec le dernier tramway, j'ai arpenté le long des grands boulevards la ville de nuit, sifflotant Brel. Je me suis absenté de ma vie pendant un an où j'ai été heureux. Le confort d'une relation, la chaleur de mon ami bienveillant, la joie de trouver un bon lit à partager, l'insouciance de se laisser vivre dans l'impunité de l'oisiveté, un quotidien cyclique qui nous asphyxia tout les deux dans un sommeil dont on ne sort que seul : Nous avons donc fait les choses proprement. Voilà que je reprends l'écriture. Ce besoin d'écrire que ni mes mains ni ma tête ne peuvent empêcher ce soir. Qu'importe, je sais déjà que je vais mal dormir.

L'heure des bilans, se sonder, "Comment vais-je ?" je réponds satisfait que j'ai grandi, j'ai vécu comme j'ai voulu cette année. Je pense à ma lâcheté que j'assume un peu mieux, pour mieux la contrer, j'essaye de mettre de l'ordre dans ma tête laissée en jachère comme j'ai pu délaisser outrageusement l'habitude d'écrire. Je pense à ce que j'ai caché de moi, ma complicité dans le meurtre de cette année que j'ai laissé pourrir pour me consacrer à empoisonner ce qui sera plus tard un bon souvenir, pleinement consumé.

Mais quand même ! Je trouve la lâcheté vraiment compréhensible ! La vie n'est vraiment pas belle à voir ! Ce qu'on appelle les responsabilités, ça ne donne pas envie, personne n'en veut et pourtant tout le monde subit -cette merde- à laquelle malgré tout nous participons. Excusez moi alors d'en profiter un peu, de retarder au maximum ce douloureux moment où il faudra "faire face". Excusez moi de vivoter : ce sera peut être la seule fois de ma vie (je ne l'espère pas). Je pense à ces vieux militants qui, lorsqu'ils mettent en terre un camarade, se disent, celui là, c'est sur, ne connaîtra pas LA révolution de son vivant, et qui s'y voient ...à sa place, dans le cercueil.

Le pire, c'est que je les enterrerai aussi, et que d'autres m'enterreront.

Quelle drôle de vie, dans ce monde dont les humoristes sont bien tristes. Quelle drôle de vie qui tente de m'occuper la tête avec des images que je n'ai ni envie de voir ni envie de connaître. La dignité des gens qui subissent ce "faire face" est certes grande,mais beaucoup trop gentille. J'ai eu la prétention de me faire un cocon pour me protéger, puis j'ai quitté ma vie en quittant la société. Je reviens ici, ce soir, je vois de nouveau les géants, d'infernales moulins à vent. J'ai encore en moi cette folie vitale de les abattre.

Disons le clairement :
J'ai fais le pari de leurs chutes plutôt que de la mienne.

 

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