L U N .1 2. D E C

La fin d'IKEA
-partie 1-

 

 

Le modèle IKEA est en crise. Ce n'est peut être pas encore très visible. La CAMIF s'est effondrée en 2009, de l'autre coté le site de vente en ligne "Le bon coin" créé en 2006 est en juillet 2009 le onzième site le plus visité du web, devant EBAY et les autres sites de vente par correspondance. De nouvelles stratégies se dessinent en dehors des circuits traditionnels de consommation. IKEA se cherche et adopte la rhétorique postmoderne utilisée par Coca-Cola, Mc Donald's, NRJ, SFR, l'Armée de Terre et bien d'autres encore. La rhétorique de l'éclate totale, et de l'exacerbation d'un "soi-même" fantasmée. Après le cynique "Osez être unique", voici le concept de "NJUT !" décliné en verbes : "Profiter", "Jubiler", "Désirer", "S'éclater", "S'évader", "S'émerveiller", "S'amuser", "Vibrer", "Délirer", "Vivre". C'est un recul du langage, une zone de degrès zéro du récit, le NJUT ! serait un état de jouissance permanente. Njut détruit la langue, il vide le sens originel des mots vers lesquels le concept est renvoyé. Ainsi "S'émerveiller" après le passage de NJUT reviendrait à "faire la fête", une euphorie constante, vertigineuse. Une espère d'ivresse qui exhorte à faire un n'importe quoi qu'on appellerait "La Vie". Nous serions alors, un peu comme des enfants drogués, dans une "SKINS Party", l'éclate tout le temps, la pulsion consommatrice libérant l'extase.

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A dire vrai, lors de mon dernier déplacement à IKEA, l'ambiance qui y régnait n'était pas vraiment à la fête. De paisibles couples de jeunes se baladant dans le labyrinthe d'un plateau aménagé en appartements témoins, des retraités prenent le temps en testant nonchalament des lits ou des fauteuils. Les rayons les plus fréquentés étaient ceux qui renvoyaient sur de la petite décoration, des ustensiles de cuisine, des petits tapis et des ampoules basse consommation. Le seul endroit où, au final, l'ambiance d'euphorie régnait, c'était cette machine à torture géante avec des boules de toutes les couleurs, qui crèvent de fatigue au bout d'une heure des petits enfants aux joues trop rouges.

IKEA vit dans la schizophrénie, là où il appelle à la fête, le calme plat domine. Le monde n'a plus l'air d'être en crise, pourquoi alors justifier des prix bas ? IKEA n'a pas l'air de se sentir un peu concerné par les problèmes que peut trouver
au quotidien sa clientèle, seule la fête compte. Ce qu'IKEA devrait faire, ce serait rester lui-même plutôt que de demander à ses clients d'être absolument eux-mêmes dans l'esprit festif. IKEA cache sa misère par le divertissement : il fait oublier qu'il est, comme Mac Donald's, un endroit, où les gens achètent par défaut. C'est cher pour ce que c'est, c'est médiocre, c'est effectivement généraliste, mais il n'y a pas moins cher. L'étudiant va au Mac Donald's car le restaurant est trop cher, même si à Mac Donald's, la note sera salée, elle restera toujours moins élevée que celle du restaurant. IKEA, c'est pareil.

La schizophrénie d'IKEA ne s'arrête pas là, tout en appelant à la différenciation, IKEA procède à l'uniformisation. Il standardise des intérieurs en faisant croire à l'unicité des caractères. Quelque part IKEA dans sa schizophrénie ne ferait-il pas là une synthèse entre deux notions jadis antinomiques? Je veux parler de celles du communisme soviétique et du capitalisme : restriction du choix, intérieur commun, lieu commun, propagande ou publicité massive, appel au bonheur pour se réaliser et réaliser un grand rêve, médiocre en qualité, glorification de l'industriel [...] . La liste peut être longue. En somme, IKEA orchestre un combat qu'il met lui même en scène, l'individu contre le collectif, le collectif contre l'individu.

Il y a en réalité une sécurité à se retrouver en masse dans les mêmes endroits, d'avoir la même vie que son voisin, jusqu'à avoir les mêmes meubles. On est sûr de ne pas trop se tromper. IKEA existe, au même titre que Mac Donald's, en niant ce que tout le monde sait déjà sur lui, tout le monde sait qu'IKEA est le magasin de meuble du pauvre, tout le monde sait que leurs meubles ne sont pas solides, tout le monde y va parce qu'il n'y a pas vraiment d'alternative. C'était sans compter sur "le bon coin", un site créé... par un suédois.

IKEA n'est ni gentil, ni méchant, IKEA est juste dépassé. Il est le symbole d'une époque dont il ne restera pas grand chose, il y a assez peu de chances que la bibliothèque Billy finisse un jour dans les musées ou dans les salles aux enchères tels que les meubles des années 30. On se souviendra d'IKEA comme le symbole d'une époque médiocre, ni esthétique, ni intelligente. Finalement, des solutions locales en réponse aux multinationales sont déjà en place, elles n'ont qu'à se développer.

 

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