M A R.2 2. D E C

La fin d'IKEA
-partie 2-

 

 

IKEA n'est pas réellement en dehors des musées. Ne pas faire entrer IKEA dans un musée d'art contemporain, ou dans les galeries, ce serait les faire vivre en dehors des enjeux qui se jouent dans le reste de la société. L'artiste ne doit pas vivre en circuit fermé avec les institutions culturelles, l'institution culturelle est le média de l'artiste. L'artiste donne à voir le monde extérieur concentré dans un médium . L'institution, elle, donne à voir le travail de l'artiste.

IKEA suscite notre intérêt, dans son orgueil, il a voulu une "démocratisation" de l'art en apportant tout simplement des œuvres d'art à tous. Seulement, ces œuvres sont-elles vraiment des œuvres d'art. Disons le clairement : IKEA nous emmerde.

Depuis qu'un Marcel Duchamp introduisait l'objet industriel face à l'histoire de l'art dès 1913. Elle n'aurait fait philosophiquement que tourner autour de ce débat là. La question posée par Duchamp : Une œuvre d'art peut-elle être un objet "tout fait" ? Le siècle précédent avait déjà esquissé une réponse avec l'émergence de la photographie : Le consensus trouvé alors est "Œuvre d'art tiré à nombre d'exemplaire limité" ou bien "Œuvre tirée de manière illimité mais la signature fait acte d'original". Et même bien avant avec la gravure. Il ne faut donc pas pencher de ce coté là.

Dans le cas Duchamp ou Manzoni, l'œuvre d'art a du sens et est pensée avec le mode de production industriel. L'œuvre créée par Duchamp, Manzoni, ou Warhol est pensée avec l'industriel. L'Œuvre perd sa substance dès lors qu'elle est industrialisée bêtement, sans nulle autre idée que la reproduction capitaliste elle-même. IKEA happe les œuvres déjà existantes, il happe aussi toute tentative de reproduction d'un meuble IKEA. Un défi insolent par esprit de contradiction serait pour l'artiste de copier IKEA sans faire du IKEA.

 


Piero Manzoni - Merda d'artista - 1961

La différence entre IKEA et l'Artiste,
c'est qu'IKEA ne pense pas l'œuvre reproduite mais il n'envisage que la reproduction de l'œuvre.

C'est un non-sens de reproduire (quasiment) à l'infini quelque chose de fini. Ce qui déçoit, c'est non seulement qu'IKEA se tape le luxe de détruire des œuvres en les glorifiant, mais qu'il crée un cycle du vide entre le public, l'image originale et les images reproduites. Le public voit alors dans le musée ou la galerie -en vrai- l'image qu'il a dans son salon, quel intérêt alors de se déplacer pour voir une image qu'ils ont tout le temps de regarder chez eux ?

C'est une arnaque : vous n'achetez aucune œuvre à IKEA, vous consommez une image d'une œuvre d'art dont le sens est dilué par sa perte d'essence. Il est alors faux d'écrire que ce soit bien Gustav Klimt qui a pensé les toiles vendues à IKEA. Gustav Klimt n'a pensé qu'une seule chose : sa propre toile. Si les gens se déplacent dans les musées pour voir la même toile qu'il y a dans leur salon, c'est qu'enfouit en eux, ils savent que la toile qui est dans le musée est la vraie. L'image présente dans leur salon n'est que finalement le souvenir d'une toile originale. Mais l'émotion que subit le regardeur n'est-elle pas biaisée ? Le regardeur ne fait que voir "en vrai" ce qu'il voit tout les jours dans son salon. C'est un peu le même type d'émotion ressentie par une personne âgée lorsqu'elle voit "en vrai" Jean-Pierre Pernault, le présentateur fétiche qu'elle voit tous les jours à la télévision. Ce qui se joue là, entre le regardeur et l'œuvre, n'est plus de l'ordre de l'Art, mais bien du fétichisme.

Or il me parait essentiel d'évacuer cette domination sans sens artistique -quasiment publicitaire- si l'on veut voir au delà de l'objet matériel. IKEA ne démocratise pas l'art. IKEA vend des images que le public, gouverné par le fétichisme, prend pour œuvre d'art. IKEA par l'ignorance organisée des masses vole notre travail. Un humain moyen aura alors un tableau générique dans son salon plutôt qu'une de nos productions. Comment voulez-vous alors que l'on tire tout ça vers le haut ?

Dans "Apogée et déclin de l'affiche de propagande chinoise" de Stefan R. Landberger, on peut lire la chose suivante : "Il reste à l'aube du nouveau millénaire, quatre types d'art de masse, tous consommés par des groupes différents. Les yuppies des centres urbains aiment les reproductions au format poster d'œuvres d'art occidentales. Les gens moins aisés achètent des calendriers postérisés plutôt bon marché, enjolivés de préférence de belles filles. La majorité des Chinois - les paysans - sont de plus en plus attirés par les images traditionnelles, bien que le portrait de Mao ait pu occuper la place autrefois réservée aux divinités, tel le dieu du foyer. Il existe encore quelques affiches politiques, mais les collectionneurs chinois et occidentaux semblent être les seuls à leur trouver de l'intérêt. Les images qui ont jadis défini l'image de la Chine ont bel et bien disparu."


 

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